Kayak au Groenland Est: une drôle d'expédition

Bonjour,

 De retour de notre expédition au Groenland Est, il est temps de vous faire un compte rendu de ce voyage qui ne se sera pas déroulé comme prévu. Il s'agissait de naviguer en kayak sur une boucle de 27 jours entre le fjord d'Angmassalik et celui de Sermilik avec une incursion sur l'Inlandsis. Notre dernière expédition nous avait laissé définitivement amoureux de ces contrées arctiques. Le sentiment de liberté, la nature exceptionnelle, les icebergs, les baleines, nous obligeaient à y revenir encore et encore avant d'être trop vieux pour se lancer, comme ça, à deux, avec notre kayak gonflable.

 Ce genre de voyage se prépare sérieusement car la nature y est splendide mais assez hostile et nous nous y étions penchés sérieusement en amont. 

Nourriture, combustible pour la cuisine, tente (nous avions décidé d'en changer car la notre n'était plus assez étanche), protection contre les ours polaires qui sont présents dans cette région, etc. Avec l'expérience de deux randonnées kayak en baie de Disko, une de 8 jours et une autre de 20 jours, nous étions déjà bien équipés et assez au fait de ce qu'il fallait préparer et des dangers qui pouvaient nous attendre. 

 Ce qui nous tracassait le plus était la possibilité, même faible, d'une rencontre avec un ours polaire qui est certainement le plus dangereux prédateur pour l'homme sur cette planète. En effet, c'était pour nous une nouveauté car la présence de cet animal en baie de Disko est exceptionnelle or ce n'est pas le cas au Groenland de l'Est où l'ours est bien présent. Après s'être beaucoup renseigné, nous savions que le fusil était indispensable et qu'il nous fallait un système de détection pour la nuit car les gardes de nuit n'étaient pas envisageables à deux. Nous avions donc réservé un fusil auprès d'un prestataire de service touristique à Tasiiliaq dans la plus grand ville de l'est, the Red House. En discutant avec un des frères Vernay sur le net, grand spécialiste arctique avec son frère (des livres préfacés par Paul-Emile Victor ce n'est pas rien...), nous avions aussi investi dans des stylos fusée qui présentent l'avantage de pouvoir être toujours sur soi et servent à faire peur aux ours. Le dernier investissement fut des détecteurs de mouvement pour passer une nuit plus sereine. Lire des récits sur des prélèvements  de personnes endormies directement dans la tente par un ours affamé n'était pas pour nous rassurer d'où l'importance d'être prévenu à temps.
 
Nous étions à la fois pressés et un peu stressés comme chaque fois en voyant arriver la date du départ mais malheureusement 4 semaines avant le départ, je me casse le coude sur une chute très bête, elles le sont toujours... C'est la tête radiale qui est touchée et le voyage est compromis car il sera difficile de pagayer avec un coude dans cet état. Mais avec des médecins qui ont bien pris les choses en mains, une fracture de petite taille et une kiné sérieuse, je reçois l'aval du chirurgien orthopédique, à condition que la douleur soit mon indicateur d’arrêt. Nous décidons donc de partir mais de modifier un peu notre parcours en kayak. Nous prendrons l'hélicoptère au lieu du kayak pour joindre Tasiiliaq depuis l'ile de Kulusuk où se trouve l'aéroport et nous ne débuterons pas du coté mer pour éviter des conditions plus engagées avec un coude peu efficace.

 Et enfin début juillet nous nous envolons pour Reykjavík. Le volcan de la presqu'île de Reykjanes s'est réveillé mais il ne nous empêchera pas d'atterrir. Nous apercevrons juste le panache de fumée au loin et il n'est pas encore accessible à cause de fumées toxiques. Nous avons trouvé un Airbnb au prix très raisonnable qui vient nous chercher car, comme les fois précédentes, nous sommes très chargés puisque nous avons avec nous tout notre matériel y compris notre brave kayak, le Seawave de Gumotex. Notre hôte est charmant et nous passons une excellente nuit. Le lendemain l'avion est strictement à l'heure ce qui est nouveau pour nous. C'est un vol d'Icelandair qui assure la navette entre Reykjavík et Kulusuk, le seul moyen de rejoindre cette partie du Groenland. Nous sommes pressés de voir ces paysages aperçus en 2019 depuis l'avion en route vers Ilulissat qui nous avaient déjà impressionnés. Et Nous ne sommes pas déçus!

A 100 kms des côtes la banquise est déjà présente, certes morcelée, mais elle est suffisamment dense pour empêcher pour l'instant les bateaux qui ne sont pas brise-glace d’accéder à Tasiilaq et Kulusuk.

Le spectacle est saisissant et s'intensifie au fur et à mesure que nous approchons.



Cela devient grandiose et nous saisit à la gorge.



Mon mari me souffle: "Tu es sure qu'on va pagayer dans ce décor?"





Moi je suis juste en train de réaliser qu'on va atterrir sur une piste et non sur du bitume ce qui est une première pour nous...







#carnet #groenland #kayak

Quels paysages enchanteurs !

Je vais suivre ce carnet , qui promet d'être magnifique .

Bienvenue au Groenland Moushika!

Histoire de savoir ou je mets "les pieds"... je me permets... Tasiiliaq

Je vais suivre avec beaucoup d’attention ton périple .
J’avoue qu’il faut être « gonflée » pour partir avec un coude cassé , est ce que tu étais plâtré ? J’ai encore le souvenir de mon pied cassé qui m’a empêché de partir en Octobre l’année dernière …
Tes photos sont belles , un peu de rêve ne fait pas de mal en ce moment .

Merci pour le lien Xrctn.
Hannah: Non heureusement on ne plâtre pour pas une tête radiale. On pose un "coude au corps" qui est une sorte d’attelle pendant une semaine puis ensuite on démarre de la ré-éducation.

Heureusement pour toi , même si ce doit être flippant c’est moins contraignant .
Mais envisager de ramer ….il faut le faire .

Bonjour Marifb,
Quel bonheur de te lire, j'attendais ton récit avec beaucoup d'impatience. Ces premiers paysages sont époustouflants.

Suite:
Aussitôt arrivés à Kulusuk qui est une île à une journée de kayak de Tasiilaq, on embarque dans un hélicoptère pour rejoindre ce gros village de presque 3000 habitants qui tient lieu de capitale à cette immense côte Est du Groenland de plus de 5000 kms de long.
C'est la première fois que nous montons dans un hélicoptère. Il est affrété par Air Greenland et fait des liaisons régulières entre les deux villages. Étant dans l'incapacité de faire pour l'instant une si grosse étape en kayak en raison de mon coude, nous aurions pu faire le trajet en bateau à moteur mais le prix étant ce jour là sensiblement le même que le trajet en hélicoptère bus, nous ne pouvons résister à la tentation de faire cette nouvelle expérience. Et le spectacle est extraordinaire!







Voilà Tasiilaq! Nous sommes fous de joie d'arriver là après les déboires et les hésitations du mois précédent. Pressés de découvrir cette nouvelle partie du Groenland, impressionnés par ce paysage si alpin, notre bonheur est à son comble!


 
Le petit héliport de Tasiilaq



Notre première mission consiste à trouver où camper. C'est notre loueur de fusil qui nous amène au campsite où nous trouvons un emplacement très agréable. Le soir nous aurons même droit aux premiers souffles des baleines dans le fond de la baie.



Puis nous nous rendons au village lui même à pied pour découvrir les lieux. Notre première mission consiste à faire des courses de nourriture, d'essence pour cuisiner, de carte sim pour l'accès à la météo.





Le village est très agréable, les habitants sont souriants et sympathiques. Nous trouvons l'essence au port et achetons le minimum de nourriture pour ces premiers jours. Pour la carte sim cela sera demain matin à la poste (Tusass).


Le pôle nord est encore à 2725 kms...

Nous voilà enfin de retour au Groenland après en avoir rêvé toute l'année.

Quels paysages ... J'attends la suite du récit avec impatience

Je découvre ce début de carnet seulement aujourd'hui.
La ballade en hélico a du être magnifique (rien qu'à voir les photos c'est déjà impressionnant).
Et quelle belle lumière dans ces pays, même avec un ciel pas entièrement bleu !
Comme tout le monde, cela m'a mis l'eau à la bouche. Je me délecte d'avance.

(NOTA : si un administrateur avait le temps de rajouter quelques bons hashtags dans le premier message ce serait profitable pour tout le monde).

Jour 2: la prise de décision


Ce matin notre objectif est de faire un essai dans la baie du roi Oscar pour voir ce qu'est capable de faire mon coude avec une pagaie. Il fait beau, il y a très peu de vent, c'est maintenant que nous allons voir si cette randonnée est réellement possible. 
 Nous montons et équipons donc notre kayak et embarquons juste un petit pique nique avec nous. Le chirurgien orthopédiste nous avait suggéré de pagayer comme dans un canoë et notre pagaie de secours étant une pagaie de canoë, ça tombe bien. L'idée était de ne pagayer que du coté le moins douloureux. Nous avions fait ce choix de pagaie de secours car elle présentait l'avantage d'être extrêmement compacte, Ce n'est pas terrible, nous le savons bien, mais dans tous les cas c'était mieux que l'année d'avant où nous n'en n'avions pas pris du tout...
Notre plage de départ est envahie par des ferrailles un peu dangereuses pour un kayak gonflable mais en étant vigilant, tout se passe bien.



 Si j'abandonne vite la pagaie de secours car ce type de mouvement ne me convient pas, je me rends compte que, tout compte fait, cela ne fonctionne pas si mal avec ma pagaie habituelle et qu'en appuyant sans trop de vigueur, j'y arrive à peu près sans douleur. Certes mon mari va devoir faire de plus gros efforts pour compenser mes mouvements un peu mous mais la décision est prise, nous allons pouvoir partir. L'idée est de faire de petites étapes de 10-12 kilomètres maximum pour éviter une inflammation du coude. Mais nous sommes super heureux de voir que cette randonnée va pouvoir se faire même si le trajet a été un peu modifié. 
Nous revenons de cette petite balade dans la baie super heureux et soulagés.
 Nous terminons la journée en allant chercher notre fusil chez Robert Pironi, le gérant de The Red House. Paul son employé inuit, nous en explique le fonctionnement. Nous avions passé une matinée pendant l'hiver chez nous dans un club de tir et un chasseur nous avait prêté fort gentiment son fusil pour apprendre à tirer avec du gros calibre. En effet c'était quelque chose de très nouveau pour nous et qui m'inquiétait pas mal. Il en était résulté que mon mari était bien meilleur que moi dans cet exercice, cela serait donc lui le responsable fusil, d'autant plus qu'avec ce coude en mauvais état, cela me semblait encore plus délicat. 
 Nous avons aussi laissé notre trajet approximatif au loueur en cas de problème et nous avons pris leur coordonnées, mail et téléphone, au cas où aussi. Devait partir en même temps que nous un néo-zélanadais qui leur louait aussi un kayak. Le gars avait l'air d'avoir un certain niveau puisqu'il revenait d'une compétition de kayak en Écosse. Pas un amateur comme nous, deux rigolos plus très jeunes sur leur kayak gonflable... C'était assez culotté de sa part de partir seul, je dois le dire. Il nous a affirmé ne craindre en rien l'ours, ce qui contrastait quand même avec le sérieux des inuits quand ils nous en parlaient, respect et crainte à la fois.




The Red House, une des rares agences de tourisme de Tasiilaq

 Le soir nous profitons à nouveau du souffle des baleines au loin mais sans les apercevoir. Le concert des aboiements des chiens au moment de la distribution de la nourriture fait lui aussi partie de ces bruits familiers du Groenland.

Bonjour Marifb, et bravo pour ce périple ! 

Je vais suivre ton carnet avec grand plaisir et attention, prévoyant un voyage similaire (en couple et en Seawave) l'été 2 024 ou 2025, avec toutefois un débat non tranché entre les côtes ouest (Disko) ou est (Kulusuk/Tasiilaq) du Groenland...

J'aurai sans doute quelques questions   

Les photos sont magnifiques  !

Jlponty :Je suis bien sûre dispo pour tes questions ayant navigué à l'est et à l'ouest en baie de Disko. N'hésite pas à lire mon compte rendu de l'année dernière en baie de Disko. J'y ai mis pas mal de détails d'organisation.
https://forumvoyage.forumactif.com/t1758-voyage-au-groenland-kayak-dans-la-baie-de-disko

Bonsoir Marifb,

C'est une sacrée aventure ! J'ai hâte de lire la suite 

Encore un peu de patience, je suis en stage sportif avec mes élèves. J'essaie de faire avancer ce compte rendu le plus vite possible.

Ce sera encore meilleur d'attendre un peu...

Je suis fan de tes carnets en général et de celui-ci en particulier. 

Comme tout le monde, j'attends la suite de votre aventure 

Jour 3: On prépare tout

Aujourd'hui nous nous consacrons aux préparatifs de la randonnée. Tout d'abord la carte sim à prendre à la poste. La veille, le postier nous avait annoncé que nous ne pourrions uniquement que passer des appels et non accéder à internet. Or ce qui nous intéresse c'est d'avoir la météo. Nous passons donc chez Pironi en espérant trouver une solution. C'est Paul très gentiment qui appelle le centre national de Tusass et après de multiples échanges avec différents services, nous apprenons que, même si cela ne mentionne que les appels, nous pourrons tout de même accéder à la 3g, c'est une bonne nouvelle. Nous profitons aussi de la wifi de The Red House pour télécharger toutes nos cartes sur les deux téléphones dans l'application Google Earth.


(photo prise sur internet)

Nous nous rendons ensuite au grand Pilersuisoq de Tasiilaq pour faire nos courses pour presque un mois. Ce supermarché qui fait partie de cette chaine subventionnée par l'état afin de permettre à tous les villages du Groenland d'être approvisionné, est très bien achalandé. On y trouve de l'alcool à bruler, du gaz et un vaste choix de nourriture. Nous avions juste apporté du lait en poudre vue la difficulté de l'année dernière à en trouver, ainsi que nos thés, cafés et sucrette et quelques minute soupes. Nous trouvons tout ce qu'il nous faut sans problème. Il faut dire que nous connaissons bien les produits distribués au Groenland maintenant et c'est plus facile de s'organiser. Attention pour l'alcool à bruler (que nous utilisons pour démarrer notre réchaud à essence), il faut bien penser à le demander au comptoir car ce n'est pas mis en rayon à cause des gros problèmes d'alcoolisme qui sévissent au Groenland. 
Pour l'essence comme l'année dernière, un bidon de sirop de myrtille fera l'affaire, une fois bien rincé dans la mer.



Il ne reste plus que l'essence à chercher, on retourne au port pour compléter nos réserves, c'est à dire 4 litres, ce qui devrait suffire vue l'expérience de l'année dernière.


Chaque village et ville possède de belles réserves d'essence et d'eau dans cette partie du Groenland

Une fois toutes ces corvées faites nous trainons un peu dans Tasiilaq, mangeons dans le seul snack de la ville puis nous assistons à un match de football avec une belle ambiance sur le stade flambant neuf de Tasiilaq. Ce stade est très important, il permet à une jeunesse en perte de repère et malheureusement souvent désespérée de trouver un peu d'occupation Je reviendrais sur le sujet plus tard.


(photo prise sur internet, on était trop chargé pour prendre l'appareil))

Il ne nous reste plus qu'à organiser nos sacs et nos affaires pour pouvoir démarrer vite le lendemain. Il faut savoir que cette partie des randonnées kayak est très chronophage. Nous passons tous les jours facilement 3-4 heures à démonter et remonter le camp. Entre le temps de trouver un bivouac convenable, décharger puis recharger le bateau ainsi que le mettre en sécurité, monter et démonter la tente, le temps passe vite. Et on peut ajouter à ça, la recherche de bois, de nourriture, etc...




Nous nous endormons pressés d'être au lendemain.

Jour 4: enfin le départ!


Ce matin enfin nous quittons Tasiilaq avec notre kayak et partons en direction du nord du fjord d'Angmassalik. Ce n'était pas le trajet prévu mais nous préférons éviter de partir pour la pleine mer pour l'instant pour préserver le coude. C'est pour la même raison que nous sommes restés presque 3 jours sur Tasiilaq. L'idée était de prolonger le temps de consolidation de ma tête radiale afin de limiter les risques d'inflammation.
Mais cette fois ci enfin, nous débutons notre rando!



 La sortie du fjord du Roi Oscar se fait bien malgré des courants assez importants mais même si notre vitesse de croisière est bien inférieure à notre vitesse habituelle, nous avançons très convenablement et je ne souffre pas, bien protégée par une coudière et un strap. 
 Nous voilà dans le grand fjord d'Angmassalik et prenons la direction du nord de ce fjord. Il y a peu d'icebergs et de taille assez raisonnable, le temps est au grand beau, sans trop de vent. Nous commençons d'abord par réaliser que nos points gps sont faux et situés toujours un peu plus au nord ouest. Un fois l'écart repéré, ce n'est heureusement plus un gros problème. Autre souci, les cartes de Russian map, comme les cartes papiers, présentent pas mal d'approximations. Le seul point juste est celui de Google Earth, nous sommes contents d'avoir mis les cartes en mémoire car dans un enchevêtrement d'iles et d'ilots, ce n'est pas si évident.
 Nous découvrons aussi que les débarquements sont moins simples que dans la baie de Disko. Il y a des courants, un peu de houle et ce paysage très alpin et austère nous impressionne pas mal. Nous nous  mettons même un peu de pression au moment du pique nique avec une marée qui monte rapidement sur les rochers et commence à nous emporter un peu le bateau.
 Mais heureusement nous avons prévu une étape très courte de 10 km seulement et nous trouvons pour le soir un super endroit pour le bivouac dans un petit fjord abrité, près d'une ruine de cabane. Un phoque vient même nous rendre visite mais se sauve vite dès qu'il nous repère. Ces phoques sont toujours un peu difficiles à apercevoir car malgré leur curiosité habituelle, ils sont très chassés et se méfient quand même beaucoup des hommes.



 Une fois le campement installé nous partons en balade dans l'arrière pays équipés quand même de notre fusil par sécurité. L'air est calme, sans vent, nous goutons le plaisir de notre premier bivouac. Nous croisons une belle perdrix des neiges dans sa robe d'été.



 Au loin dans l'Angmassalik nous entendons encore le souffle des baleines et nous apercevons leur jet puissant.



 Le soir après le repas, nous mettons en place nos détecteurs de mouvement. Nous posons un sac où il y a de la nourriture à coté de chaque détecteur. Comme il est impossible de couvrir tous les angles en positionnant les 5 détecteurs suffisamment loin de la tente pour avoir le temps de réagir, l'idée est d'amener l'ours à venir renifler un peu les petits sacs avant de s'avancer vers la tente. Le système nous parait assez sécurisé et avec le fusil chargé,  posé sur sa housse, prêt à servir, nous nous endormons plutôt sereins. La nuit, un des détecteurs sonne mais une fois vérifié qu'il s'agit très vraisemblablement d'un oiseau, nous nous rendormons assez facilement.

Jour 5 et 6: La nuit de l'ours


Ce matin un brouillard épais nous environne et il fait un peu plus froid. la navigation a du coup un petit coté mystérieux comme j'aime et quand cela se decouvre un peu, c'est encore plus beau.



Rapidement le brouillard se lève laissant place au soleil. Nous croisons quelques icebergs un peu plus importants avant de nous arrêter pour un en cas. Puis le vent se lève lui aussi et devient assez soutenu. Nous sortons la voile qui me permet de reposer mon coude un peu plus raide aujourd'hui. Le vent devient même assez tonique et en arrivant vers la zone où nous voulons bivouaquer, je range la voile avec un peu de difficulté car le vent ne fait que forcir au fil des minutes. Nous trouvons heureusement un fjord non indiqué sur nos cartes et nous y pénétrons afin de nous y mettre à l'abri.





 
 Malheureusement, si l'emplacement trouvé est bien plat avec un torrent pas loin, c'est en fait un couloir de vent bien glacé. Nous hésitons un peu puis prenons la décision de nous y arrêter quand même. Après tout nous ne sommes là que pour une seule nuit et en mangeant tôt nous pourrons rapidement nous mettre à l'abri du froid dans notre tente bien douillette avec un bon bouquin.





 Mais vers 8h du soir, nous entendons des voix. Mon mari sort rapidement pour voir ce qu'il en est. Il s'agit d'un bateau posé au milieu de la baie car c'est marée basse et il ne peut pas vraiment débarquer. C'est Paul de chez Pironi qui vient nous prévenir qu'un ours vient d'être aperçu se dirigeant dans notre direction et qu'il est très proche. Il nous demande la plus grande vigilance et de faire des gardes cette nuit. Il ne reste pas car il n'a pas encore trouvé le néo-zélandais et s'inquiète pour lui. Quand mon mari m'annonce cela en revenant dans la tente (je n'ai pas pu suivre la conversation à cause du vent infernal qui bat les parois de la tente), je suis figée de peur. Après avoir réfléchi depuis si longtemps à cette situation pendant le préparation du voyage, ce qui était du domaine de l'imaginaire devient bien réel, je me mets même à claquer des dents. Je suis très surprise de ma réaction mais je suis littéralement terrorisée.
 Il faut donc organiser nos gardes. Mon mari équipé du fusil et de jumelles, couvert de tous ses habits en couches successives et de son duvet s'adosse à un gros rocher qui protège un peu du vent glacial descendant du col. De mon coté, impossible de dormir. J'ai beau me répéter que dans 3 heures c'est mon tour et que je dois me reposer, impossible de fermer l’œil. Puis c'est à moi, je me mets en mode commando, la terreur a laissé la place à une grand vigilance, scrutant le fond du fjord mais aussi les montagnes à ma droite, à ma gauche et derrière moi. Du coté droit, une colline cache la vue et si l'ours devait arriver par là, je ne disposerais pas de beaucoup de temps pour réagir. Le fjord est plus rassurant car même au plus sombre de la nuit, on y voit très bien et l'ours ne pourrait pas échapper à ma vigilance. Le ciel flamboie dans la nuit, on est juste proche du cercle polaire et bien moins au nord que l'année dernière.



 Le froid est pénible, heureusement que ce rocher nous protège un peu des piques du vent. Lorsque je repasse la main à mon mari, celui ci craque un peu et se met à l'abri de l'abside. "Je vais vérifier toutes les 5' minutes" me dit-il... Mais au bout de 10 minutes il est toujours dans la tente... Le froid le repousse trop. On se dit qu'il nous faudrait un périscope dans cette tente ou des fenêtres de chaque coté. Malgré la garde un peu relâchée de mon mari, je réussis quand même à m'endormir pour une petite heure puis c'est à nouveau à mon tour afin que lui aussi puisse au moins s'endormir un peu.
 Au petit matin nous prenons la décision de naviguer à 5 km d'ici car il y a des cabanes sur une petite île. J'envoie un message avec la balise (qui marche très bien, elle ) chez Pironi afin de savoir si il y a des chances qu'elles soient ouvertes mais ils ne le savent pas. Il va falloir tenter le coup pour se mettre à l'abri en espérant que l'ours poursuive sa route vers le nord sans s'occuper de nous.   
 Après un petit déjeuner dans un froid toujours aussi vif, nous commençons à remballer nos affaires mais malheureusement nous sommes épuisés et mon mari chute dans un de ces trous qui parsèment toujours les terrains fait de rochers, de mini-arbustes, de mousses et de lichens du Groenland. C'est son genou qui a pris mais il semble à peu près en état de marche. Puis en apportant des affaires près de la rive, c'est à mon tour de chuter, nous sommes trop épuisés. Par contre cette fois ci c'est plus grave, j'ai ré-édité la même chute que lors de ma fracture. Furieuse contre moi même, je secoue mon bras dans tous les sens en prétendant que ça va aller mais malheureusement, la douleur monte à toute vitesse et elle est même plus intense que la première fois. Impossible de pagayer et même de monter dans le kayak. Quelle poisse! Après avoir cherché différentes options, il faut se résoudre à appeler des secours. Je ne sais même pas comment je pourrais entrer dans ce kayak, mettre la jupe et cela semble idiot de continuer avec un seul pagayeur surtout si le vent est le même que dans ce fjord. Nous re-contactons Pironi, ils vont nous envoyer un bateau dans l'après midi. Nous poursuivons péniblement les rangements car cette fois il va falloir tout emballer, kayak compris. Avec un seul bras, tout prend un temps infini mais le bateau arrive et il faut à nouveau se mobiliser pour tout apporter et trouver un moyen d'embarquer sans abimer encore plus le coude. Il y a une guide de kayak qui parle français dans ce bateau, on échange un peu avec elle. Elle nous prend un peu pour des rigolos mais je ne crois pas qu'elle réalise vraiment le problème que pose mon coude. C'est la mort dans l'âme que nous remontons ces malheureux 25 km vers Tasiilaq. Le moral est dans les chaussettes, j'ai l'impression d'avoir une poisse pas possible cet été.
 Le vent est bien moins fort dans le fjord mais nous savons que nous avons fait malheureusement le bon choix. Le bateau nous dépose à nouveau vers le bivouac de Tasiilaq et nous remontons péniblement un campement à proximité des chiens. Mon mari va chercher quelques douceurs au Pilersuisoq, je reste en remâchant mon amertume.
 La soirée est morose et nous nous demandons ce que nous allons bien pouvoir faire pendant ce mois sans équipement de randonnée, ni bâtons qui sont, pour moi, devenus indispensables à cause d'un genou très abimé.


 
 J'ai réussi à retrouver sur Facebook la photo de l'ours prise par l'inuit qui l'avait aperçu et signalé aux autres. La guide nous a dit qu'il l'avait postée. Il s'agissait d'un jeune mâle. Les Inuits s'en méfient pas mal car ils sont souvent un peu impétueux et imprévisibles. Même si nous ne l'aurons pas vu de nos yeux, et heureusement, il nous aura bien fichu en l'air le début de notre randonnée. Rétrospectivement je me suis dit que, vue la quantité de banquise présente au large du fjord et donc vraisemblablement de phoques, il avait sans doute bien rempli son estomac avant de remonter vers le nord et avait du passer froidement devant notre petit fjord. Il nous avait forcement senti, vue la capacité extraordinaire de l'odorat des ours polaires (jusqu'à 50 km sur la banquise...) mais les ours du Groenland ont quand même connaissance que l'humain peut représenter un danger et même si notre viande peut les intéresser, la nourriture qu'ils apprécient le plus, en particulier pour sa graisse, est quand même le phoque. En tout cas nous sommes prévenus, si on les rencontre assez peu en fin de compte, cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas là et la vigilance doit être de rigueur.

Ah ! Ce coude ! Mais c'est toujours comme ça, quand on s'est blessé à un endroit on retape forcément dedans lors de mouvements tout bêtes voire ordinaires. La nuit a du être éprouvante. J'imagine bien le niveau du moral à ce moment-là. Je suppose que cela s'est un peu amélioré ensuite. J'attends la suite avec grand intérêt.

Bonjour

Je commence juste aujourd'hui la lecture de ce passionnant voyage au Groenland

C'est une vraie aventure de préparer un tel voyage et partir à 2 dans ces contrées désertes. Je ne pensais même pas qu'on puisse partir seuls en kayak au Groenland
Et ces photos de mer recouverte de ces milliers morceaux de banquise quelle merveille  

Dans mon carnet de voyage sur les Raja Ampat et la Papousaie, tu disais que les Raja avaient été prévues (et annulées) l'année du covid mais c'était maintenant au tour du Groenland : du coup ce sera le prochain voyage ?  Les requins baleines de 15m et les tortues seront plus reposants que les ours blancs    ... et les températures plus clémentes
Par contre, coté budget, je suppose que le Groenland est encore plus cher que la Papouasie, je pense que tu en diras qqs mots à la fin

J'attends la suite avec impatience comme tout le monde 

Christian

Le prochain voyage sera bien les RA. Nous retournerons au Groenland en 2025 avec nos grands enfants.  L'idée étant de leur transmettre notre passion avant d'être trop âgé pour continuer.
Oui le Groenland est très cher mais quand tout se passe bien et qu'on est déjà équipés, c'est un voyage peu cher car à part le voyage, le logement à  Reykjavik ou Copenhague et la nourriture sur place il n'a plus aucun frais.  Mais cette année à cause de la série de malchance, nous aurons quasiment doublé notre budget.

J'imagine le stress... Bravo pour la persévérance