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Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane

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Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane Empty Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane

Message par Lucbertrand Mer 22 Juin 2022 - 0:06

Encore une fraction de voyage qui me laisse des souvenirs forts et pourtant comme les pistes oubliées de Bolivie il remonte à dix ans.
Les voyages à vélo laissent des traces  profondes.


                                     Parcs nationaux nord du Chili de Sajama à Colchane
 
 
Nous poursuivons notre descente de l’Amérique du Sud. Après une formidable traversée des chemins oubliés de Bolivie, nous envisageons de partir à la découverte des parcs naturels du nord du Chili aux noms qui prêtent au rêve : parc de Lauca, réserves des Vigognes, parc du salar de Surire et parc du volcan Isluga.

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Cette succession de parcs nationaux ou naturels semble constituer une immense chaîne de pistes dont nous ignorons l’état, les capacités d’accueil ainsi que les dénivelés. Nous ne savons pas non plus si nous y trouverons du ravitaillement. Notre première impression est favorable. Nous imaginant que le Chili est un pays occidentalisé, nous ne manquerons certainement pas d’y trouver des infrastructures touristiques et tout ce qui en découle. Tout du moins l’espérons-nous. Cependant, dans le doute, la sagesse nous conseillera de prévoir cinq jours d’autonomie n’oubliant pas que nous sommes dans ces régions très hostiles de l’Atacama.

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Nous quittons la Bolivie et le magnifique village de Sajama. Une route asphaltée succède à la piste sablonneuse après trois cents kilomètres. La première sensation est exquise, plus un seul frottement. Je ressens plus un sentiment de glisse que de roulement. Là-bas à l’ouest une ville que nous prenons à tort pour Lagunas alors qu’il s’agit de Tombo Quemado. Cela aura son importance. Nous l’atteignons et nous décidons d’y déjeuner. Par la suite, une longue montée nous conduit à la frontière à plus de 4500 mètres d’altitude. Du fait de notre erreur, nous nous trouvons à un poste frontière en pleine nature loin de la dernière ville et nous effectuons les formalités de sortie de Bolivie et d’entrée au Chili. Mais le hic, impossible d’échanger nos bolivaros. Le douanier chilien nous assure que plus loin il n’y aura pas de problème pour faire du change. Nous constaterons qu’il nous a dit n’importe quoi.
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Le contrôle d’entrée au Chili est sévère. La douane fait passer un chien anti-drogue le long de nos vélos. On nous demande de nous délester de nos produits alimentaires frais ou déshydratés. Nous abandonnons nos pommes et nos raisins secs.
 
La route se déroule le long du majestueux lac de Chungara à 4500 mètres d'altitude, derrière lequel le volcan Parinacota et son voisin dressent leurs silhouettes caractéristiques à plus de 6000 mètres. Nous les longeons sur une dizaine de kilomètres. Le lieu est inhabité, peu propice à la vie. À part quelques gros camions la vie a fui ce lieu d’altitude et de vent. Grâce à la route goudronnée, ils nous gratifient seulement de leurs gaz d’échappement et non d’une poussière dense et persistante. La zone est désertique, des sommets pelés aux couleurs vives font face aux deux volcans. Tout en progressant sur un immense plateau accidenté, nous nous rendons compte que la nature est la même qu’en Bolivie. L’impression de pays occidentalisé va se révéler inexacte dans cette partie nord du Chili. Nous n’allons croiser durant cinq jours que villages désertés et étendues nues où à notre approche s’enfuient quelques vigognes graciles.
 
Dans un premier temps nous espérons pouvoir arriver au village de Parinacota que nous croyons grand. Enfin nous l’atteignons. Il s’agit d’un petit bourg niché au bord de cet immense lac de Chungara. Nous réalisons que le change ne va pas être facile tout comme le ravitaillement. Cela me donne un sacré coup au moral. Va-t-il falloir que nous fassions un détour immense pour rejoindre la première ville où trouver un distributeur de billets ? Une auberge nous accueille. Il y fait froid, l’altitude est de 4300 mètres. Nous y rencontrons un couple de jeunes Français qui ont laissé tomber leurs métiers et partent pour un tour du monde. Au cours de ces trois mois d’errance, nous croiserons à plusieurs reprises des couples voyageant dans ce contexte.

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Nos problèmes comme par enchantement et peut-être aussi grâce à la pugnacité de Jean, vont trouver une solution. L’aubergiste nous fait du change et nous vend du pain et des paquets de spaghettis. Ce sera la base de notre nourriture pour les jours à venir. De plus au matin une minuscule boutique nous fournit quelques sucreries. C’est le Pérou ! Nous prenons notre temps avant d’aller demander conseil auprès de l’organisme du parc implanté sur la place centrale. Le fonctionnaire interrogé ne semble pas très bien renseigné. Nos questions obtiennent des réponses évasives. Pour un employé de cette structure, l’impression est franchement déplorable. À croire qu’il ne s’est jamais aventuré en dehors de son bureau !
 
Le village est touristique. Nous discutons avec un groupe de Français qui se déplace à travers le Chili en 4X4. Nous finissons par prendre la route vers les onze heures du matin. Notre intention est de faire une vingtaine de kilomètres et trouver un coin de bivouac, ce qui nous avancera pour l’étape du lendemain.

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Il nous faut dans un premier temps rejoindre la route goudronnée qui passe au-dessus du village. Après quelques péripéties pour l’atteindre, nous la suivons sur une courte distance avant de nous engager sur un chemin où nous découvrons un raccourci permettant de nous faire gagner une vingtaine de kilomètres. Très vite le sable sur la piste et le vent dans la figure vont s’avérer des ennemis redoutables. Arrivés à la croisée d’un carrefour, nous n’avons aucune certitude sur la direction à suivre. Après un temps d’hésitation nous optons en faveur de l’itinéraire qui s’avérera le plus court. Nous évoluons dans une immense plaine désertique sans relief, bordée de grands volcans laissant échapper des fumerolles blanches qui tranchent sur la roche sombre et le ciel bleu. Cette première impression est loin de l’idée que l’on se fait d’un parc national, en pensant par exemple à l’Oisans ou aux Ecrins en France. Mais nous sommes venus ici à la recherche d’autre chose, et effectivement cela ressemble à autre chose. Nous éprouvons un sentiment de désolation et de dénuement.

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De loin en loin des camions soulèvent des nuages de poussière. Mais que font ces monstres à cinq essieux dans ce coin retiré ? Nous découvrirons le lendemain soir, qu’ils participent à l’exploitation du salar de Surire. Pour le moment, nous constatons grâce à un panneau routier miraculeux planté au milieu de ce désert, que le village de Gualaterie se trouve à quarante kilomètres, il affiche exactement quarante-et-un. Du fait d’un changement de direction de notre chemin, le vent de ce milieu d’après-midi est bien orienté et devient notre allié. Nous devrions être en mesure de parcourir cette distance avant la nuit. La motivation nous booste et, après une vingtaine de kilomètres nous abandonnons notre intention de bivouaquer. En effet, le vent nous pousse et le terrain est plat ou presque. Cependant le revêtement n’est pas terrible, tôle ondulée et sable parfois obligent à mettre pied à terre car les roues s’enfoncent, et le pédalage devient impossible, mais nous avançons. Le challenge de rejoindre ce village et son auberge espérée nous donne des ailes et nous traversons ces grandes zones désertiques avec conviction et acharnement.

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Vers les dix-neuf heures, nous atteignons notre but, Gualaterie, hameau constitué de rares maisons dispersées à proximité du volcan. Le site est austère sous le joug d’une bise froide et cinglante de fin d’après-midi, vaste plaine sans végétation ni relief au pied de cette énorme montagne de laquelle s’échappent des émanations gazeuses. Le gîte est effectivement ouvert, nous poussons un ouf de soulagement, car cela nous évite un bivouac qui se serait sans doute avéré pour le moins très inconfortable. L’étape de ce jour aura été de soixante-quatre kilomètres, distance respectable, eu égard à notre heure de départ tardive et à l’état de la piste. Mais le vent, qui sur les deux tiers du trajet nous a poussés vigoureusement, nous a simplifié la tâche. Nous n’osons imaginer s’il nous avait été défavorable ! J’apprendrai ce qu’il en est au cours de mes expériences futures dans l’Atacama. J’en retiendrai l’incroyable aptitude d’adaptation du corps face à l’adversité.
 
Les conditions de vie sont vraiment rudes dans ces régions. Dès que le soleil a disparu, la température chute rapidement et le vent rageur ajoute à la rudesse ambiante. On nous propose des chambres spacieuses avec une antichambre où nous pouvons laisser nos vélos. C’est toujours appréciable de ne pas avoir à retirer les sacoches, ce qui économise la fatigue due au temps de manutention, de démontage et de remontage.

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Nous sommes seuls dans cette auberge tenue par une femme. Elle allume un poêle à côté duquel nous nous blottissons. L’ambiance demeure la même que lors de la traversée des pistes boliviennes effectuée les jours précédents. Seule différence, les prix sont plus élevés mais restent bon marché, même si le montant semble à première vue important, car le change est de 700 pesos chiliens pour 1 euro.
 
Au matin, après le petit-déjeuner dans une salle glaciale, nous nous promenons dans la bourgade en attendant que le garde du parc rejoigne son bureau. En effet, aujourd’hui nous espérons rejoindre le salar de Surire, au bord duquel se trouve un refuge tenu par les agents du parc. Nous comptons y obtenir des renseignements, car il n’est pas toujours ouvert. Cela dépend de la présence ou non des gardes. Comme dans tous ces coins retirés de Bolivie et du Chili, une vieille église avec son clocher posé à même le sol attire immédiatement l’attention. Je gravis l’escalier étroit en colimaçon qui conduit à son sommet. Là comme dans chacun des clochers visités, une énorme cloche suspendue à une poutre tordue, sans doute centenaire, trône imposante.

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La vue de ce point haut sur la région est étonnante. Une plaine désolée sans limites définies qui,  par sa monotonie, ne souligne aucun relief particulier où le regard pourrait s’arrêter. Cependant au-dessus de cette immensité morne, un grand volcan, sur lequel vapeurs et traces de neige se disputent la prédominance, ajoute à la désolation du site. De manière paradoxale, je ne sais plus si je suis dans une région montagneuse ou dans un grand désert aride et lugubre. Le ciel est d’une grande pureté et le soleil essaie d’ajouter une touche de gaieté, mais rien n’y fait. Ces régions, peut-être trop immenses, où la végétation n’a pas sa place, m’oppressent et me semblent hostiles. Les montagnes, je les imagine généralement comme de grands pics qui s’élancent au-dessus de forêts denses ou alors encore en beaux pâturages verts qui montent à l’assaut des pentes, mais là, cette énorme masse qui nous domine ne présente que gigantesques pierriers qui s’étendent à perte de vue. Ils viennent mourir ou plutôt se perpétuer dans cette étendue sans repère particulier et qui court bien au-delà de l’horizon. L’attractivité de ces régions réside plus dans leur étrangeté que dans l’esthétisme. Voilà les pensées qui m’assaillent dans ce matin frais au beau milieu du parc national de Lauca.

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Nous nous dirigeons vers le bureau des gardes car il commence à y avoir du mouvement. Là nous exposons notre demande. Il nous est répondu qu’il n’y aura aucun problème pour l’hébergement au bord du salar de Surire. Nous retournons récupérer nos vélos et partons. L’étape de la journée sera seulement de cinquante-deux kilomètres, mais la piste sera terrible, tôle ondulée et sable, à laquelle viendra s’ajouter un trafic de camions intense. La raison en est l’exploitation du sel qui bat son plein et le nuage de poussière est permanent sur cette piste qui conduit au lieu d’extraction. Nous souffrons de ces particules de terre qui nous tapissent les muqueuses. Les camionneurs sont cependant sympathiques et essayent dans la mesure du possible de diminuer cette nuisance. Comme ils font des allers-retours pour charger du sel, nous voyons les mêmes plusieurs fois dans la journée et ils nous gratifient de grands signes.

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Mais pour un parc national, ce n’est pas ce que nous attendions. Nous avons vraiment l’impression de nous déplacer dans une immense carrière. Seuls, quelques alpagas de loin en loin ou alors quelques vigognes furtives apportent une touche différente. Vers treize heures, nous faisons une pause casse-croûte en nous protégeant du vent et de la poussière derrière nos vélos sur lesquels nous avons fixé des couvertures de survie. La protection est toute relative, mais bien allongé au sol la tête sur mon sac, la position est tenable. Il faut dire que depuis presque trois mois que nous affrontons les différents climats des Andes, nos corps se sont adaptés et nous ne souffrons pas, en dehors de cette poussière qui s’insinue partout.

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Le matériel est durement éprouvé par les conditions du chemin. Les vibrations permanentes desserrent les boulons et nous ne prenons pas toujours la peine de vérifier fréquemment nos vélos. Cette négligence entraîne la rupture d’une fixation de mon porte-bagages avant et il nous faut réparer en plein vent. Mais grâce à l’ingéniosité d’Alain, les travaux seront menés rapidement.
 
Enfin, au sommet d’une butte, le salar nous apparaît. Il ne semble pas très grand, mais nous avons appris à nous méfier de nos perceptions des distances car le périmètre de ce désert de sel est de soixante kilomètres, ce qui est supérieur par exemple au pourtour du lac du Bourget, plan d’eau de superficie imposante. Nous sommes impatients de nous approcher de cette étendue de sel et de pouvoir y rouler. La déception est vive de constater que toute la surface de ce lac immobile est retournée et grattée du fait de l’exploitation. Nous essayons cependant d’y rouler et faisons quelques photos. Nous sommes sur le premier des trois salars que nous envisageons de traverser, mais c’est le plus petit, le second sera déjà beaucoup plus grand et enfin le dernier Uyuni est tout simplement le plus vaste désert de sel du monde. Mais déjà cette première expérience préfigure les émotions que nous ressentirons au milieu de déserts de sel des centaines de fois plus amples.

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Un employé de l’entreprise d’exploitation nous signale que le salar est propriété privée et que nous n’avons pas le droit d’y circuler. Il attire aussi notre attention sur le danger que représente cet endroit, la croûte de sel pouvant céder sous le poids de la personne qui s’y déplace. Mais il nous dit tout cela sur un ton affable. Il nous explique aussi le cheminement du sel exploité vers les pays étrangers.

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Nous reprenons notre chemin en direction du refuge qui se trouve encore à huit kilomètres. Avec le vent dans le nez et une piste en état médiocre cela représente encore une heure d’efforts soutenus. Enfin nous y sommes. Les vigognes sont protégées, elles ne s’y trompent pas. Par troupeaux elles séjournent dans les environs de cet abri, sous l’œil des gardes dont la mission est justement de veiller sur elles.

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Pour des problèmes de clés, nous devons attendre dehors dans le froid qui vient rapidement avec le soir. Finalement nous demandons s’il est possible de se mettre à l’abri car nous commençons à grelotter sous les assauts du vent, n’oublions pas que l’altitude est supérieure à 4000 mètres. Comme par enchantement, suite à notre demande, les problèmes de clés disparaissent la porte du bâtiment que l’on nous réservait n’étant tout simplement pas fermée à clé ! Que faut-il en déduire ? Les problèmes de communication ne sont pas toujours évidents à résoudre. Cette construction est une espèce de gros baraquement en préfabriqué, constitué de plusieurs pièces. On nous affecte une première grande chambre pour tous les trois et une seconde pour entreposer nos vélos et nos bagages.

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Installés quelques dizaines de mètres au-dessus de l’étendue de sel, le regard embrasse une large zone. Nous assistons pour la première fois au coucher de soleil sur cette immensité blanche. Les teintes virent au rose, puis au rouge pour finir par s’assombrir et se fondre dans le noir de la nuit. Le sortilège de l’Atacama s’impose par ce spectacle extraordinaire. Je tente d’imaginer ce que nous dévoileront les grands salars boliviens vers lesquels nous nous dirigeons et que nous devrions atteindre la semaine suivante. Comment ne pas tomber amoureux de ces espaces démesurés si déconcertants lorsqu’on s’y enfonce lentement à vélo.
 
Autorisés à faire notre cuisine dans le bâtiment principal, il y règne une bonne chaleur. En dehors de l’équipe de gardes et d’une scientifique, un couple de Hollandais séjourne en ce lieu. Ils viennent de passer leur journée à photographier la population de flamants roses, animaux parfaitement adaptés aux rigueurs des zones d’altitude andines. Malheureusement ces grands oiseaux ont élu domicile sur le côté opposé du site et nous n’en verrons pas.
 
Le lendemain, nous attendons les premiers rayons du soleil pour sortir. Le spectacle est magnifique, le sel s’éclaire tout d’abord d’une teinte pastel puis il devient étincelant. La chaleur monte très rapidement dès l’apparition de l’astre du jour. De plus, comme tous les matins, pas un souffle de vent ne vient perturber le calme ambiant. Dans ces déserts d’altitude, le contraste est considérable entre le début et la fin du jour. Le vent du soir apporte austérité et hostilité à ces contrées perdues. À l’inverse le lever du jour et le début de matinée diffusent une atmosphère de tranquillité apaisante qui invite à la contemplation des petites troupes de vigognes qui nous environnent. Mais il nous faut songer à partir pour profiter de conditions météorologiques clémentes afin de parcourir un maximum de kilomètres dans de bonnes conditions.

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Nous longeons le salar et arrivons à un embranchement. Là, un ouvrier d’une équipe travaillant à l’amélioration de la piste nous dit que les deux routes se rejoignent plus loin. Nous passons par le village de Surire, mais le chemin pour atteindre ce hameau désert bâti légèrement en altitude se termine en cul-de-sac. Ce détour nous permettra ainsi de faire la visite de l’un de ces villages du bout du monde. Le point de vue qui s’offre à nous sur la plaine est majestueux de par son austérité. Après avoir fait demi-tour sur un kilomètre, nous hésitons quant au chemin à prendre. Nous distinguons bien dans le lointain le col par lequel nous aurons à passer. Mais dans cette immensité plate légèrement vallonnée et sans point caractéristique qui y conduit, quelle voie faut-il emprunter ? Tout ne semble que sable inconsistant et le mauvais choix peut se révéler redoutable. D’ailleurs le col en question est-il bien sur notre itinéraire ? Je distingue dans cette direction un nuage de poussière soulevé par un véhicule, preuve qu’il y a bien une piste, donc probablement la nôtre. Dans ces espaces illimités sans repères où la présence humaine est faible et dotés de nos cartes très imprécises, nous sommes parfois confrontés à des choix difficiles. Je ne sais si c’est par chance ou du fait de notre sens de l’orientation, mais nous ne ferons pas de grosses erreurs.

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La montée vers le col n’en finit pas. La piste est difficile, l’altitude n’arrête pas de s’élever. L’environnement devient de plus en plus minéral. De grands pans de montagnes en pentes assez douces nous entourent, un peu à la manière de grandes collines désertifiées, sur lesquelles des champs de pierres aux couleurs multiples se déverseraient. Plus une seule voiture, le lieu est grandiose dans sa rudesse. Notre altimètre indique plus de 4600 mètres alors qu’enfin nous atteignons ce que nous pensons enfin être le point le plus élevé.  Nous sommes habitués maintenant depuis plusieurs mois à la topographie des Andes, des pentes douces qui ne semblent jamais se terminer alors que l’on croit avoir atteint le point culminant. Ce qui est particulièrement vrai au Pérou, en Bolivie et au Chili mais pas en Équateur. Lorsqu’on touche enfin ce fameux point culminant on réalise qu’il n’est qu’une énième antécime. Le point le plus élevé se dérobe toujours et pousse parfois au découragement après des montées interminables.

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Enfin nous sommes au sommet et nous marquons l’arrêt. Le col, plutôt la vaste zone plate qui en tient lieu, ressemble un peu à ces images lunaires que nous avons tous vues, sur lesquelles de grands espaces plats recouverts de grosses pierres éparses s‘étendent jusqu’au pied de reliefs lointains. Contrairement à la lune, il ne s’agit pas dans le cas présent de gigantesques rebords de cratères dus à la chute de quelques grosses météorites, mais tout simplement de reliefs volcaniques. La palette de couleurs présentée est vraiment très large. Elle va du noir provenant de pierres charbonneuses en passant par le rouge et le vert, pour s’étendre jusqu’à des teintes très claires, le blanc ou le jaune, provenant d’écoulements soufrés. Je ressens en ces lieux une profonde impression de bout du monde.

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Par des pistes difficiles et mal adaptées aux deux roues, seule la vitesse réduite du vélo autorise cette pénétration lente dans ce milieu désertique. La lenteur constitue l’élément fondamental qui laissera à l’esprit le temps de s’adapter à cet environnement, d’où tout naturellement découlera ce plaisir intense de la contemplation d’un panorama d’exception. Venir trop facilement dans un lieu, un peu comme si on ne l’avait pas mérité par l’effort de son corps, ne permet pas d’accéder à cette félicité, cette sensation forte d’être une partie de cette nature sauvage. Bien évidemment, j’ai conscience d’être un privilégié qui jouit de la santé et du temps lui permettant de réaliser de tels projets. Le temps représente la plus grande richesse dans nos sociétés occidentales en accélération permanente et non l’argent. Bien sûr, il en faut un minimum mais le voyage à bas coût est une réalité accessible, nous en faisons la démonstration. Les aventures vécues m’ont révélé que les vrais souvenirs puissants et persistants s’ancrent en nous au cours de nos expériences rustiques. Les nuits dans des hôtels confortables ne laissent souvent aucun souvenir car ce ne sont pas des lieux de rencontre et d’échange, et le dépaysement, source d’intérêt du voyage, y est généralement absent. On va me rétorquer que pour aller si loin, il n’y a que l’avion et que le billet n’est pas gratuit. Certes il faut en tenir compte, mais une fois sur place on vit pour quelques centaines d’euros par mois. Toutefois, avec ces considérations, je ne veux surtout pas jeter la pierre à ceux qui ont choisi de voyager de façon différente, accompagnés ou motorisés ou dans le confort. Je restitue seulement les états d’âme qui sont les miens et qui dans ces moments m’apportent beaucoup de plaisir.

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Nous basculons sur l’autre versant de la montagne et immédiatement la végétation apparaît. Il ne s’agit pas de végétaux luxuriants mais simplement de touffes d’herbe éparses et d’une drôle de plante vert clair très lumineux, appelée Llareta. Elle caractérise le symbole des hauts plateaux andins, et est l’illustration que la vie s’accroche à plus de 4000 mètres d’altitude au milieu des éboulis de pierres volcaniques dans des conditions climatiques extrêmes. Elle recouvre et enveloppe les grosses roches à la manière d’une mousse beaucoup plus dure au toucher. Elle se développe sur de grandes surfaces. Son taux de croissance est lent, elle peut atteindre plusieurs centaines d’années, certains la disent millénaire. Elle fut très exploitée aux siècles passés pour la fabrication d’une poudre qui permettait de faire du feu. En effet, son extrême densité lui confère de grandes qualités calorifiques à la combustion, ce qui a failli lui être fatal. De ce fait elle a quasiment disparu en de nombreux endroits, et ne reconquerra ses espaces naturels qu’avec le temps. Elle est absolument protégée de nos jours.

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Après un repas frugal, nous reprenons notre descente. La plaine qui se déroule à nos pieds est un véritable désert, à la végétation quasiment inexistante. Comme toujours arrivés à un carrefour de pistes, nous nous demandons une fois encore quelle direction prendre. Après une estimation à la boussole, nous optons sans certitude pour le chemin de droite. Il s’avérera que nous avons fait le bon choix. Nous en aurons confirmation quelques kilomètres plus loin, en rencontrant le seul véhicule que nous croiserons jusqu’au soir.

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Nous rejoignons un village. Il est désert mais pas tout à fait abandonné, certaines portes possèdent un cadenas. Ces groupes de maisons sans vie, jetées à même le désert, dégagent une impression de tristesse et de désolation. Ces régions se désertifient. Je me demande comment était-il possible de vivre dans un environnement aussi hostile, chaleur la journée, grand froid la nuit, vent permanent, eau rare et absence de végétation. Après une courte halte auprès de ce qui devait être l’église, nous reprenons la traversée de cette vaste étendue dont nous ne voyons pas la fin. Encore une fois sable et tôle ondulée se liguent pour nous freiner. Le guidon tangue lorsque la roue avant s’enlise dans quelques centimètres de substance instable. Il faut alors appuyer fort sur les pédales pour ne pas être bloqué. Il arrive que la roue arrière dérape par manque d’adhérence et alors c’est à pied qu’il nous faut poursuivre notre progression.
 
Enfin se dessine devant nous un petit canyon qui vient rompre la monotonie de cette immensité plate et sableuse. Une rivière y coule. La végétation fait son apparition et avec elle la vie animale. Des troupeaux de lamas et d’alpagas paissent tranquillement dans cette étroite gorge tapissée d’herbe et encadrée de grands pans de montagnes arides. Un peu de verdure dispense immédiatement une touche sympathique à l’endroit. Dans cette lumière de fin d’après-midi aux couleurs pastel, en observant ces camélidés nonchalants, je suis pénétré de toute la sérénité du lieu. Je me sens d’autant plus rassuré qu’il y a une rivière, certes au débit minuscule, mais si nous devons bivouaquer nous ne manquerons pas d’eau.
 
Nous sortons de cette gorge par une petite grimpée puis à nouveau les grandes étendues plates et arides s’offrent à nous. D’après la carte un village se situe quelque part dans ce lointain où l’œil ne discerne qu’uniformité constituée de cailloux et d’herbes rases desséchées. Il n’est pas toujours possible de distinguer un groupe de maisons à une dizaine de kilomètres. Construites avec les matériaux pris sur place elles se fondent dans l’environnement et de plus sont toujours à un seul niveau. De ce fait les bâtisses jouent un parfait rôle de caméléon.
 
Enfin la piste amorce une descente et, un peu en contrebas, le village d’Aravilla apparaît. Nous y pénétrons avec satisfaction dans l’espoir de trouver un gîte. Il semble désert. Nous l’arpentons à la recherche d’une cabane ouverte. Plusieurs, plus ou moins en ruines, pourraient faire l’affaire pour un bivouac. Après avoir arrêté notre choix, nous constatons qu’il y a une petite maison qui est habitée en bordure du hameau. Il s’agit d’un vieux couple d’Indiens, derniers habitants de ce coin reculé. Nous nous approchons et demandons l’autorisation de nous installer. L’homme nous propose une petite habitation à l’allure de chapelle au confort très rudimentaire. Nous dormirons Alain et moi à même le sol en terre battue. Jean ira se caler derrière l’autel. Finalement à l’abri du vent nous nous y trouverons bien car ces murs en terre sont très calorifuges et dans ce petit espace nos corps feront rapidement monter la température.
 
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Je pars me promener à travers ce village presque désertifié. Pas un bruit à part le feulement du vent. Les seuls être vivants que je puisse voir sont quelques lamas et alpagas broutant de rares touffes d’herbe. En regardant bien dans cet espace à la mesure des géants, on distingue dans un rayon d’une dizaine de kilomètres plusieurs autres petits villages se camouflant aux couleurs de cette terre ocre, qui eux aussi semblent avoir perdu toute activité humaine. Parmi cette végétation clairsemée apparaissent beaucoup de crottes petites et rondes provenant du bétail local. Au détour d’un léger monticule en bordure de chemin, je découvre une curieuse plante, grosse boule constituée d’une multitude de petits globes épineux de la grosseur d’une fleur de pissenlit montée à graine. Et une fois de plus comme presque tout ce qui se rencontre en ces lieux, la couleur tire sur le brun et l’ocre. En revenant à notre chapelle, je passe à proximité du logis de notre vieux couple d’Indiens. Je les vois allongés à même le sol, cherchant à se chauffer aux derniers rayons du soleil prodiguant encore un peu de chaleur, avant de céder brusquement sous les assauts de la nuit froide. Ils vivent dans le plus grand dépouillement. Je fais un détour afin de ne pas les déranger puis je rejoins mes compagnons qui s’affairent au repas du soir.
 
Ces points de chute en vue d’un abri pour la nuit, découverts un peu au hasard depuis bientôt trois mois, représentent à mon sens l’un des plus grands attraits du voyage itinérant. Passer une journée à pédaler sans savoir où l’on va pouvoir faire une halte nocturne, se résigner et l’instant d’après espérer, s’imaginer rester dehors sans eau et puis soudainement trouver un havre de paix qui de plus possède un robinet à proximité fournissant une eau claire et fraîche. Voilà le vrai plaisir de l’itinérance. La permanence de l’incertitude qui garde constamment tous les sens en éveil. Je dois dire qu’en un trimestre d’aventure nous avons toujours trouvé de quoi passer des nuits acceptables même si parfois, du fait du lugubre et de l’hostilité de l’endroit, nous nous sommes fait violence pour monter nos tentes.

Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane Images86
 
La tombée de la nuit sur un village presque abandonné des hommes et peut-être aussi des dieux est d’une rare beauté. Surplombées de volcans aux couleurs vives dont on a du mal à estimer les dimensions (leur altitude flirtant avec les 6000 mètres), les terres s’étendent à l’infini et la couleur ocre prédomine. La nuit descend, les contrastes se révèlent dans des jeux d’ombre et de lumière. Les volcans, tels des monstres géants assoupis à la peau de pierre, se parent de teintes fauves. Ces immenses montagnes qui à première vue ressemblent à des collines démesurées, dévoilent dans la lumière déclinante tous leurs reliefs tourmentés, les rayons rasants faisant naître une multitude d’ombres qui jouxtent les parties encore éclairées. Un immense patchwork constitué de brun et de noir se déploie sous nos yeux. Le bouquet final éclate au moment où l’ultime sommet reçoit son dernier rayon de soleil, prélude à l’arrivée des premières étoiles. Rapidement ces dernières vont se multiplier et envahir l’immensité de la voûte céleste en un véritable feu d’artifice, à l’image d’une myriade de diamants. Le spectacle est féérique car ces régions sont dénuées de toutes lumières parasites et bénéficient d’une atmosphère d’une grande pureté à plus de 4000 mètres d’altitude. Je reste fasciné devant cette scène d’une nature sauvage. Mais l’hostilité du lieu me ramène à des considérations plus terre à terre. Il se met à faire très froid et je suis fatigué à la suite d’un parcours de soixante-huit kilomètres sur des pistes exécrables. C'est donc rapidement que je bats en retraite pour aller me réfugier dans la chaleur relative de notre abri auprès de mes deux camarades.
 
Après une très bonne nuit calfeutrés dans notre chapelle, le retour du soleil matinal dans un air calme prodigue sérénité et apaisement. Contrairement à la veille au soir le lieu nous apparaît ce matin comme accueillant et chaleureux.  L’appel du vélo se fait pressant. L’étape de la journée ne devrait pas être très longue. La ville frontière de Colchane où nous terminerons notre périple à travers les parcs et réserves du nord du Chili, se trouve à trente kilomètres. Mais dans ces endroits, le kilométrage ne veut rien dire, il suffit d’une petite dose de sable pour que le pronostic soit erroné et que les temps de parcours augmentent démesurément.
 
La piste est toujours aussi mauvaise et nous nous résignons à nous traîner à des vitesses comprises entre cinq et dix kilomètres à l’heure. Il nous faudra même parfois mettre pied à terre et pousser nos vélos. Dans ces situations, nous réalisons qu’ils sont vraiment lourds. En chemin, quelques villages aux magnifiques églises centenaires, illuminent la désolation du lieu d’un charme réel à la manière de l’espérance que tout chrétien détient au fond de lui. Plus ou moins entretenues, elles sont toujours peintes en blanc et possèdent un clocher massif posé à côté du corps principal de l’édifice.
 
Au sommet d’une côte, brusquement le panorama s’élargit. Sans pouvoir distinguer la cité de Colchane qui se cache quelque part dans cette immensité, nous discernons cependant dans le lointain des reflets diffus blanc lumineux. Cette teinte laiteuse au ras du sol est annonciatrice du salar de Coipasa qui s’étend au-delà de la frontière en Bolivie. Nous nous situons au nord de ce désert de sel à une cinquantaine de kilomètres. Les montagnes positionnées sur sa rive sud, sans aucun doute possible, se dressent à plus de cent kilomètres de notre point d’observation. Ce spectacle gigantesque qui jaillit brutalement au détour d’une bosse du chemin, nous fait prendre conscience que nous quittons les parcs chiliens et que bientôt une autre aventure extraordinaire nous attend, la traversée des grands salars boliviens.

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Cette immersion dans cette zone du nord du Chili nous a surpris par son aspect désertique et sa pauvreté. Après avoir parcouru trois cents kilomètres de pistes sur l’altiplano bolivien, par contraste nous nous attendions à trouver des zones occidentalisées, dotées d’infrastructures hôtelières d’un certain niveau. Certes, nous en avons vu, même utilisé, mais elles étaient très sommaires, au confort minimum. Cette région s'est révélée être aussi pauvre et plus désolée que celle que nous venions de traverser en Bolivie.
 
Le vélo est certainement le moyen de locomotion le plus adapté pour pouvoir s’immerger dans ces contrées aussi désertes qu’hostiles et essayer d’en percer l’âme secrète. Un chapitre se referme, et c’est avec un pincement au cœur que je mets un terme à cette incroyable traversée des parcs nord du Chili.
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Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane Empty Re: Les parcs nord du Chili de Sajama à Colchane

Message par Hiacinthe Sam 25 Juin 2022 - 17:22

Bonjour Luc,

Ce récit de voyage est très bien écrit, et il est poétique. J'ai beaucoup aimé. 

Un grand merci ! 

Christine
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