Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

par Lucbertrand Mer 21 Aoû 2024 - 11:49

Un petit tour entre Dévoluy et Oisans

Alors que l'on parle de surtourisme, la France, même en été, recèle une multitude de coins secrets et déserts. Quatre jours d’escalade en juillet avec mes deux compagnons d’aventures, Robert et Christophe, et ne rencontrer en tout et pour tout qu’une cordée, au demeurant fort sympathique, cela est tout à fait possible.

Notre désir d’escalade nous mènera tout d'abord entre les Gicons et le Pic de Gleize en Dévoluy, puis dans le haut val du Drac en Oisans au-dessus du village abandonné de Méollion. Nous finirons dans les gorges du Drac vers la Mure.

Quatre belles parois aux compositions de rocher fort différentes. Le miracle de la géologie, trois d’entre elles sont constituées de roche calcaire, mais trois structures bien distinctes qui conduisent à des types d’escalade propres. La quatrième muraille dans le vallon de Champoléon, à l’entrée du massif de l’Oisans, presque aux sources du Drac, présente une protogine (classée dans les granites) caractéristique du massif. Cette roche cristalline, à gros grain très abrasive, offre une escalade où l’adhérence des pieds est la clé du plaisir.

Notre point de chute est à Veynes, petite ville des Hautes-Alpes située dans la vallée du Petit-Buëch. Fière d'un riche passé ferroviaire, elle allie à la fois senteurs de la Provence et panoramas tourmentés de montagne.

Quatre journées à ne voir personne et, en fin d’après-midi des retours dans la vallée à serpenter pour éviter le tour de France qui rôde dans les environs. Le soir du deuxième jour, en faisant Gap-Veynes, nous croisons, tout au long des vingt kilomètres, les nombreux bus transportant les coureurs et leurs accompagnateurs, ainsi que l’immense cortège de la caravane. L’étape avait pris fin au col du Noyer. Durant la demi-heure du trajet je constate que le tour de France est une énorme organisation déplaçant des centaines de véhicules, voitures, camions, autobus et motos, bien entendu sans parler des spectateurs ni de l’immense cohorte de camping-cars venus de toute l’Europe.

A cette foule vespérale, le calme de la journée oppose un contraste saisissant.

Première ascension, la falaise des Gicons fait face aux grands sommets du Dévoluy, Pic Ferrand et Obiou. Ce dernier du haut de ses 2790 mètres est majestueux, pierre titanesque au carrefour de vallées. Obstacle redoutable sur lequel par mauvais temps des avions sont venus se fracasser. Comme bien souvent, il se drape de nuées légères et diffuses, un peu à la manière d’une aquarelle où le peintre n’aurait pas été avare de coups de pinceau peu appuyés mais étendus.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5564

Pour nous y rendre, nous quittons la nationale à Saint-Bonnet-en-Champsaur. Nous passons le Col du Noyer, puis rejoignons le village de La Mère-Eglise dont le nom fait référence à une ancienne église romane en ruines située à proximité, connue sous le nom de Chapelle Notre-Dame de la Mère-Église. Culminant à 1 664 mètres d'altitude, ce col est utilisé depuis des siècles comme un point de passage emblématique qui relie le Dévoluy au Champsaur, deux vallées importantes des Alpes du Sud. Nous sommes dans le Dévoluy qui s'étend entre Hautes-Alpes et Isère. Ce massif montagneux est constitué de hauts plateaux et de montagnes escarpées. Et si l'on prend le temps de flâner et de faire des haltes dans les villages, les églises romanes, les chapelles et les vestiges médiévaux ajoutent au charme de la visite.

Une fois sur place, la face des Gicons nous domine de ses 300 mètres de calcaire blanc. La marche d’approche est d’ambiance provençale, végétation typique et senteurs aromatiques. Moments toujours précipités, car il est question d’avaler le chemin rapidement et de gagner la course sur le soleil afin d’éviter de cuire plus tard sur un rocher surchauffé, pendu en plein vide. La sente est tracée sur une pierre karstique éclatante qui de bon matin réfléchit déjà les rayons de l’astre du jour. Cette paroi offre majoritairement une escalade sur un rocher de difficulté raisonnable par rapport à mon entraînement, à part les quarante premiers mètres très soutenus sur des prises indirectes et, plus haut un redoutable dièdre côté 6b, où je me sens quelque peu dépassé. Pour m’en sortir, seule alternative, tirer comme un forcené sur les pitons qui le ponctuent de loin en loin.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5565

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5566

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5568

Arrivés au sommet de la muraille, un panorama à 360 degrés se dévoile entre Dévoluy et Oisans. S’échapper vers le haut d’une voie d’escalade, au moment où la chaleur devient ardente, procure une sensation de soulagement et de bonheur à l’idée d’une journée bien remplie. Pour une première ascension, je m’en suis assez bien tiré, ayant eu quelques appréhensions au départ. Contrairement au vélo, où lorsqu’on est fatigué il suffit de s’arrêter, dans une longueur soutenue il faut l’enchaîner et le manque de pratique régulière est un gros handicap. De plus, les longueurs s’empilent et le but consiste à réussir et ne pas céder à l’échec et renoncer en fuyant vers le bas en rappels. Heureusement, si l’entraînement s’entretient, la technique ne s’oublie pas, surtout celle de pied lorsqu’on a longtemps fréquenté le gré de Fontainebleau. Une bonne technique de pied soulage efficacement des bras défaillants.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5569

Deuxième jour, le vallon de Champoléon est notre destination, endroit que j’aime tout particulièrement, composé de plusieurs hameaux, parmi lesquels les Borels, les Gourniers, et la Chapelle. Il donne accès au domaine de la haute montagne. La vedette du lieu avec son effigie typique, le Sirac domine du haut de ses 3441 m, érigeant fièrement sa crête en dents de scie. Notre but n’est pas le Sirac mais l’aiguille des Bergers. La sente d’approche remonte la combe sauvage et déserte du haut du Drac. Elle surplombe des gorges profondes. Montée agréable dans une forêt dense où la fraîcheur est la meilleure alliée de la marche rapide. Le sentier passe par le village en ruines de Méollion. Perché à 1666 m d'altitude. Ce hameau pastoral où 13 familles vivaient principalement de l'élevage et de l'agriculture, a été abandonné en 1921 en raison des hivers rigoureux, de l'isolement et de la difficulté d'accès. Il fut utilisé durant la seconde guerre mondiale comme camp par la Résistance jusqu'en novembre 1943, date à laquelle il fut détruit par les Allemands. Aujourd'hui, on y trouve les vestiges de maisons, d'une chapelle, et d'autres bâtiments.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5627

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5570

Au-dessus du village se dessine l’aiguille des Bergers. Elle émerge au-dessus des pâturages et de la forêt. En elle-même elle mesure une centaine de mètres. L’accès à son pied s’effectue par une longue dalle de 150 mètres de dénivelé, raide mais extrêmement adhérente. La structure du rocher, gneiss caractéristique de l’Oisans en rend le parcours assez facile si l’on ose faire confiance à la technique de pose des pieds. Une fois ce pan incliné parcouru, la dent se dresse et promet une belle empoignade. La partie de plaisir ne déçoit pas, sur une roche similaire à une matière rugueuse, très agréable aux semelles mais douloureuse aux doigts. Une fois au sommet, deux rappels nous déposent dans une forêt raide, nécessitant une descente précautionneuse, où la glissade est interdite. Une demi-heure est nécessaire pour rejoindre le pied de la voie, où nous avons laissé une partie de notre matériel. Encore une très agréable journée, sans âme qui vive, seuls face à la nature d’altitude. Même en juillet la montagne permet d’admirables évasions loin du tumulte.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5571

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5572

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5628

Troisième journée, notre objectif les dalles de la face est du Pic de Gleize, contrefort du Dévoluy, il se situe à proximité du col Bayard. Ce sommet, d’une altitude de 2161 m, vu de la route du col Bayard, est impressionnant, pointu à souhait. Ses longues dalles de la face est attirent inexorablement le regard du grimpeur. La montée au col de Gleize s’effectue en voiture puis, par une longue marche à flanc nous rejoignons le pied de la face est. Un pierrier croulant et raide, dans une touffeur augmentant rapidement, constitue la dernière difficulté pour atteindre le départ de l’escalade. Seule journée où nous verrons quelqu’un, une cordée nous suivra dans la paroi. Après un départ classique, durant une centaine de mètres sur un rocher pas particulièrement adhérent, nous abordons une zone de dalles, qui se développe sur 150 à 200 mètres. Alors l’escalade se transforme en un rêve, certes de souffrance pour les pieds comprimés dans les chaussons car un soleil impitoyable devient de plus en plus agressif avec sa montée vers le zénith. Des cannelures permettent une progression évidente, les pieds en adhérence et les mains pinçant les aspérités créées par l’érosion, dissolution de la roche calcaire au fil des millénaires. On peut se demander comment les semelles tiennent aussi bien, comme une impression de pieds collés dans toutes les configurations de pose, certes en exerçant une forte pression. Cette étonnante envolée de 300 mètres nous dépose sur une crête aérienne. Elle mène jusqu’à l’amorce du chemin de retour vers le col de Gleize. Cette année pluvieuse permet la croissance d’une végétation luxuriante, inhabituelle à cette époque dans le sud de La France. Les fleurs multicolores rivalisent d’éclats, en nombre elles accompagnent notre marche.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5629

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5630

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5631

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5632

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5633

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5634

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5635

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5636

La quatrième et dernière journée d’escalade se passe dans les gorges du Drac au niveau de la ville de la Mure. Le bivouac est installé sur le plateau, en hauteur juste au-dessus de la rivière. Le lieu nous gratifie d’une vue extraordinaire sur le Mont Aiguille qui plonge dans la nuit par tout le dégradé du blanc au rouge puis avec comme la touche finale, le noir de la nuit. Je regarde toujours cette montagne avec une émotion particulière, en pensant aux escalades que j’y ai effectuées. Historiquement, il représente un jalon important, du fait qu’il s’agit de la première escalade difficile rapportée, en 1492, l’année de la découverte de l’Amérique par Christophe Collomb. Mais un autre évènement très intrigant reste gravé dans ma mémoire, qui se déroula en 1973. Justement, avec l’un des deux camarades qui m’accompagnent durant ces 4 jours, nous avons assisté à un phénomène très étrange, ce que l’on appelle communément un phénomène OVNI. Je ne rentrerai pas dans la description précise de cette apparition qui dura 5 bonnes minutes, dont nous gardons tous les deux un souvenir précis 50 ans après. Ma vie durant dans l’armée de l’air j’ai cherché à trouver une similitude avec une configuration d’avion en vol, mais jamais rien ne m’y fit penser de près ou de loin, par le bruit peut-être mais pas par les mouvements browniens. Le mystère reste entier.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5637

L’accès est inhabituel, nous descendons au bord du Drac par un chemin escarpé mais facile. En finale le cheminement s’effectue entre sable et galets le long de la rive sur quelque distance, le temps de repérer de magnifiques emplacements où de grosses truites sont probablement à l’affût. Je resterais bien à lancer ma canne à mouche dans ces eaux bleutées, mais le labeur nous attend.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5638

Un raide couloir terreux donne accès au départ de l’escalade qui suit l’arête du Trident de Cognet. Elle commence par un mur vertical d’une cinquantaine de mètres. La roche calcaire est sombre, d’un aspect austère voire hostile. L’action de grimper ne procure pas la jouissance engendrée par la remontée des grandes dalles aériennes de la veille. Elle n’est pas dénuée d’intérêt, demandant cependant un plus important investissement des bras et une attention particulière au positionnement des pieds sur une roche plus fuyante. Le cadre est magnifique, le bruit du Drac nous accompagne sur les 100 premiers mètres, puis plus haut se dilue dans le vent. Un rappel, à partir d’un emplacement malaisé, nous mène au collet au pied de la dernière longueur qui nous réserve, en guise d’au revoir, le passage le plus difficile de la voie.

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5639

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5640

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans Img_5641

Avec l’âge je grimpe maintenant dans ce niveau de difficulté en second et, j’en « chie » toujours un peu plus mais le plaisir demeure, illusion très temporaire de rester jeune. Quatre journées inoubliables d’un plaisir brut. Je ressens une certaine mélancolie à quitter mes amis malgré les efforts rudes déployés, les muscles et le bout des doigts et des pieds en garderont les traces quelque temps. Je repars un peu amaigri en savourant ce que je suis venu chercher comme à chaque fois : la force des montagnes, la beauté époustouflante des paysages, le grand vide de l’alpinisme, la sérénité à défaut d'une philosophie nouvelle et cette complicité qui nous lie tous les trois depuis si longtemps dans nos aventures montagnardes.

par Eiger Mer 21 Aoû 2024 - 14:29

Magnifiques cannelures du pic de Gleize . on se croirait en Chartreuse Very Happy

En tout cas ces sorties sont bien la preuve que bp de parois sont tjs tranquilles malgré l'affluence sur certains sommets
J'en ai souvent fait l'expérience en alpinisme dans les Ecrins (très fréquent dans ce gd massif) et même dans le Mont Blanc ou on s'est retrouvés la seule cordée sur certaines belles voies dédaignées des alpinistes

par mjp Jeu 22 Aoû 2024 - 10:14

Le Champsaur et le Dévoluy sont 2 très beaux massifs où on peut encore trouver des lieux cachés de la foule (il y en a plein dans les Alpes du sud) qui se concentre sur quelques lieux emblématiques. Je me souviens d'avoir randonné et bivouaqué seul il y a quelques années près de la montagne de Cedera au dessus de Méollion sans avoir rencontré âme qui vive, à part quelques chamois, durant 2 jours

par Lucbertrand Ven 23 Aoû 2024 - 9:28

Bonjour, vos réponses me font prendre conscience qu'en réalité il y a beaucoup plus d'endroits déserts que d'endroits "fouleux". Certains sites connus canalisent et puis ailleurs on est seul. Je me souviens avoir traversé les Pyrénées entre le 10 juin et le 3 juillet, mixte entre GR 10, GR11, HRP et hors itinéraire et bien à part les étapes Canigou, Ordessa et un autre endroit au début du pays basque je n'ai rencontré pratiquement personne. Je me souviens de plusieurs étapes entre 30 et 40 km où je n'ai même pas vu une personne.

Exactement la même chose quand on traverse les Andes à vélo, tous les 500 km il y a un spots touristiques où on trouve d'un coup une foule et, autrement dans les interstices on y croise des Indiens mais pas un étranger sur des centaines de kilomètres. J'ai aussi fait l'expérience en alpinisme à Chamonix un 14 juillet en étant la seule cordée sur des voies de belle ampleur mais pas mises en valeur dans les topos d'escalade.

Du côté du Dévoluy et de certaines parties de l'Oisans, comme un peu plus à l'est dans la haute vallée de l'Ubaye, une multitude de magnifiques voies dans différents types de rochers, le granite côtoie le calcaire, et là sur des développements jusqu'à 400 m une escalade de rêve. Je ne me souviens pas avoir croisé un grimpeur pourtant des voies j'en ai gravi, au moins une quinzaine, dans cette haute vallée de l'Ubaye. On est loin des armées de quads, par compagnie de 30 à 40, qui arpentent la Cappadoce. Heureusement que nous n'avons pas tous les mêmes envies de destinations et d'activités

par Rosestories Dim 25 Aoû 2024 - 20:48

Superbe compte rendu

par Josss Sam 7 Sep 2024 - 4:04

Wahou sensations garanties !!

par Contenu sponsorisé

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans

Re: Quatre jours d'escalade entre Dévoluy et Oisans