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Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994

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Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994 Empty Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994

Message par Lucbertrand Sam 13 Avr 2024, 07:17

Souvenir, souvenir, un petit texte ressorti d'un recoin de mon ordinateur, écrit il y a quelques années. Dans les légions romaines le soldat ou légionnaire romain avant de prendre une grande baffe par Obélix disait "engagez vous qu'ils disaient". C'est l'une des raisons qui m'a incité deux mille en plus tard  à faire comme ce légionnaire romain et partir à l'aventure sous le drapeau français. Et, effectivement du pays j'en ai vu et des situations de tous genres aussi dans des endroits troublés par les conflits. 
L'un de ces souvenirs  est tiré de mes trois mois passés à Sarajevo et dans sa région proche durant le siège de Sarajevo. Pour l'amoureux de la montagne que je suis, souvent je partais en tout petit groupe dans les montagnes environnantes pour des missions spécifiques et c'est au cours de l'une de ces missions que ce déroule le petit texte que je rapporte ci-dessous.
 
 
Bien que souvent isolé sur mon piton, je savais que très vite l'actualité pouvait me propulser au premier plan, au travers d'une déclaration à des reporters français mais aussi serbes. Il m'est arrivé à ce titre une expérience très intéressante et pleine d'enseignements. 
 
Ce jour-là, nous étions assez nombreux au sommet de la montagne, mon équipe, six en comptant le spécialiste du renseignement du 13, un groupe de la Légion Etrangère pour assurer notre sécurité et un détachement de parachutistes qui effectuait une mission spécifique. En tout, nous étions une bonne vingtaine. Un nuage de poussière tout en bas de notre montagne attire mon attention. Un véhicule monte. Lorsque j'arrive à le discerner clairement, je constate qu'il s'agit d'une voiture civile non blindée et non tout terrain, donc ce ne sont pas les journalistes habituels, reconnaissables à leur 4x4 aux vitres blindées. Immédiatement, j'interroge le spécialiste du renseignement, qui me dit reconnaître ce véhicule. Il s'agit d'une équipe de télévision serbe venant de Belgrade. Qu'est-ce que cela signifie ? Le chemin est long pour arriver jusqu'à nous le long de ce chemin très caillouteux. Nous avons tout le temps de nous perdre en interrogations. 
 
Enfin, la voilà cette voiture qui débouche sur l'esplanade devant notre bâtiment. Il s'agit d'une petite auto à la silhouette carrée, bien dans la tradition des véhicules des pays de l'Est. En sortent deux journalistes, une femme et un homme à l'aspect assez miteux. Ils ne sont pas armés, donc pas considérés comme hostiles. Leur hostilité résidant cependant dans leur caméra. En effet, ne faisant pas confiance aux journalistes français, il est encore moins question de faire confiance à une équipe serbe, qui vient probablement sur instruction. Je demande à chacun de ne pas communiquer avec les nouveaux arrivants. 
 
Ayant enlevé mes différents attributs de grade, de nom et surtout d'appartenance à l'armée de l'air, je les laisse s'approcher. Une fois au contact, j'engage la conversation, et je ne juge pas utile de les empêcher de filmer, dans la mesure où nous ne leur parlons pas, afin d'éviter toute tentative de manipulation. Rapidement, ils ne semblent plus motivés pour nous filmer, je pense les avoir découragés. Alors, le spécialiste du 13 ème RDP attire mon attention sur le nouveau nuage de poussière qui vient à notre rencontre. Très vite, les véhicules sont identifiés. Il s'agit de l'un des généraux de l'armée serbe de Bosnie, le général Mladic, accompagné de certains de ses adjoints. Les véhicules s'arrêtent à proximité de celui des journalistes. Le général et l'un de ses subordonnés descendent du premier ainsi que quelques officiers du second. Les journalistes se sont mis en position pour filmer. Je n'ai aucun mandat pour recevoir qui que ce soit de l'un des camps belligérants. Je me tiens donc en retrait, montrant très clairement que je n'ai pas l'intention d'accueillir cette délégation même si à sa tête se trouve un général. 
 
Ce dernier juge vite la situation et entreprend de faire le tour de la position. N'étant pas menaçant, ses adjoints non plus, je ne juge pas utile de leur en interdire l'accès. Cependant, je les fais suivre par un légionnaire d'origine serbe, lui demandant de se tenir à la distance nécessaire et suffisante pour écouter ce qui se dit. La conversation entre ces officiers serbes est édifiante. En gros le général dit : les Français sont là mais n'en n'ont rien à foutre. Ensuite, il revient se camper au milieu du terre-plein et attend que l'un d'entre nous vienne à son contact. J'interdis à quiconque de bouger. Alors, le journaliste serbe s'approche et me dit que le général désire me parler. Ayant pris précédemment les précautions nécessaires afin que les caractéristiques de mon uniforme ne puissent être utilisées à des fins de propagande proserbe, je m'approche. Le général me tend la main, j'en fais de même. Et commence un grand serrage de mains à la mode communiste sous l'œil de la caméra. Je n'apprécie pas et me mets à tourner, pour perturber la prise de vue. Mon interlocuteur me pose un certain nombre de questions que j'élude et il me fait constater que je suis particulièrement prudent. A l'une d'entre elles, je réponds que les montagnes de son pays sont très jolies et que j'apprécie d'avoir à m'y trouver. Il regarde les siens un peu interloqué et sourit. Je ne me sens pas particulièrement à l'aise, d'autant plus que le journaliste essaie de me coller le micro sous le nez. Je parle donc le moins distinctement possible tout en tournant, et la langue anglaise se prête bien à la non-articulation. Nous sommes donc tous à tourner sur ce terre-plein au sommet d'une montagne. Même si cela n'a pas duré très longtemps, j'ai eu l'impression d'une éternité. En effet, mes interlocuteurs sont aguerris beaucoup plus que je ne le suis à l'art de la manipulation et de la désinformation, donc je me sens dans cet entretien en position de vulnérabilité. Le général voyant toute l'hostilité passive que je manifeste à son encontre n'insiste pas trop. Il me dit au revoir et repart avec ses adjoints. La voiture des journalistes les suit dans la foulée. Je ne pense pas qu'ils puissent exploiter les images qu'ils viennent de faire. Cette visite me semble étrange et surréaliste.
 
Nous sommes vraiment dans une situation bizarre au milieu de belligérants qui peuvent investir notre position dans la mesure où ils ne sont pas hostiles, mais auxquels nous nous opposerons s'ils sont armés. Alors que je me perds depuis une heure en conjectures sur la signification réelle de cette visite, l'un des parachutistes attire mon attention sur un groupe d'hommes à pied qui monte la pente raide qui conduit à notre position. Nous identifions tout de suite un groupe de combat d'une dizaine de soldats serbes, cette fois armés. Immédiatement, je réunis les légionnaires et les bérets rouges et les fais se positionner face à la menace. Les intrus constatent que nous réagissons mais continuent leur progression. À ma droite les légionnaires, à ma gauche les parachutistes, échelonnés le long de la crête. Les armes sont clairement mises en position de tir. Ils montent toujours. Par contre, ils ne lèvent pas leurs armes. J'y suis particulièrement attentif, car s'ils ont ordre d'attaquer, il est fort probable que la première balle sera pour moi. 
 
La tension monte très clairement. Le lieutenant, commandant le détachement de la 11ème DP, positionné à quelques mètres de moi, tenant son pistolet mitrailleur prêt, m'interroge d'un regard insistant et n'attend qu'un signe de ma part pour tirer dans le tas. Pas de panique, mais ça ne va pas tarder à urger ! Ils continuent de monter. Même s'ils ne sont pas directement menaçants, il n'est pas question de les laisser arriver avec leurs armes. Ils ne sont plus qu'à deux cents mètres. Les deux chefs de détachements légion et parachutiste guettent la moindre de mes réactions. J'ai clairement conscience de la décision rapide et lourde de conséquences, que je peux être amené à prendre à la moindre évolution de la situation.
 
Les Serbes sentent que cela ne va pas tarder à dégénérer. Nous avons l'avantage de la hauteur, ce qui psychologiquement est confortable. Alors je vois le chef de groupe de combat serbe poser son arme, tous ses hommes en font de même, mais ils continuent de monter. Pour moi, cela est différent par rapport à mes directives. Je demande aux militaires français, tout en restant extrêmement vigilants, de ne plus les viser directement. Les Serbes arrivent à notre contact. Ils nous demandent de l'eau. Nous leur en offrons. Nous échangeons quelques paroles en restant les uns et les autres sur nos gardes, faisant attention à tout geste mal interprété, car après ces minutes de grosse tension, il faut revenir au calme psychologique. Puis, ils repartent par où ils étaient arrivés. Au passage, ils récupèrent leurs armes et disparaissent au bas de la montagne. De toute évidence, leur général les a envoyés pour nous tester. Je ne sais pas à quelle réaction il s'attendait. Par contre, je sais qu'il aurait suffi d'un détail, un petit incident, par exemple un soldat serbe qui trébuche en levant malencontreusement son arme de façon menaçante, et que j'interprète comme un déclenchement d'offensive pour que je fasse ouvrir le feu.
Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994 Img_0015
En arrière fond un immense relais télévision détruit par les Serbes lors du repositionnement de leurs troupes
Lucbertrand
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mjp et kawo apprécient ce message

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Message par kawo Sam 13 Avr 2024, 07:42

Merci  @Lucbertrand pour cette histoire captivante. J'ai littéralement senti la tension monter au fur et à mesure de ton récit  pale
La photo illustre parfaitement le contexte
kawo
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Message par Lucbertrand Dim 14 Avr 2024, 13:22

Bonjour Caroline, merci 

Ca me donne une idée, je vais mettre d'autres expériences vécues au cours de ces quelques mois au milieu de ce conflit. 

C'est toujours étrange de se trouver dans ces situations, mais on réalise que notre formation militaire permet d'accepter ces dangers car on est prêt à donner sa vie.
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Message par Lucbertrand Lun 15 Avr 2024, 09:59

La ville de Sarajevo occupe le fond d'une cuvette toute en longueur. Du fait de son développement, les maisons par manque de place ont colonisé les collines environnantes. Des quartiers serrés se pressent tout au long des flancs de cette multitude de buttes raides, qui rentrent carrément dans la ville basse et l'encerclent de toutes parts. 

En levant les yeux, la première chose qui frappe, ce sont les façades de maisons individuelles qui constellent tous les reliefs environnants. Il ne faut pas de grandes explications pour comprendre, que de toutes ces fenêtres en encorbellement, des multitudes d'yeux vous regardent, voire vous surveillent. Elles sont innombrables, les unes sur les autres, tout au long de ces grandes pentes qui tombent dans la ville. Tels de gros yeux inexpressifs mais lourds de menaces dissimulées, elles peuvent à tout moment prêter assistance à l'auteur d'un assassinat, embusqué à l'abri de la lumière, son arme de précision à la main et l'œil sur le croisillon de la lunette. 

On imagine facilement tous ces guetteurs scrutant l'immobilité de la ville à la recherche de victimes à abattre. Combien de snipers, qui vous prennent dans leur mire, se tapissent, invisibles au regard, quelques mètres en retrait dans la pièce, à dessein pleine de pénombre, derrière ces ouvertures ? Combien de fois, montant les escaliers de la fameuse patinoire, la Skenderija, j'ai senti ces regards sur moi. L'impression est étrange et désagréable, une envie de partir en courant ou de lever les yeux pour essayer d'apercevoir la menace. Cela ne sert à rien, bien au contraire, cela pourrait juste être pris pour un acte de provocation, et souvent la susceptibilité du tireur est proportionnelle à son taux d'imbibition à la slibovitch, alcool blanc de prune.



Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994 P1000210
Maisons qui colonisent les pentes de la ville


Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994 P1000110
Sarajevo, c'est aussi des cimetières dont les stèles mortuaires débordent presque sur la chaussée


Situation étrange à Bielaznika durant le siège de Sarajevo en 1994 P1000111
Photo prise en 2014 une vingtaine d'années après le siège, centre ville
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