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Cuesta Zapata à vélo

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Cuesta Zapata à vélo  Empty Cuesta Zapata à vélo

Message par Lucbertrand Dim 14 Aoû 2022 - 19:23

Cuesta Zapata, crête perdue au fond des Andes quelque part au nord de l'Argentine. Une piste fend la montagne entre la Ruta 40 la fameuse route qui traverse tout le pays, et la ruta 60 qui monte au Paso San Francisco qui donne sur le Chili. Ce voyage remonte à fin 2018.



Il y a des projets que l’on envisage comme dans un rêve. La traversée à vélo de la Cuesta Zapata en fait partie. J’ai l’impression d’avoir effectué un voyage au cours d’un voyage, un peu à la manière des poupées gigognes. Les cartes, lorsqu’on les parcourt chez soi, nous emmènent très loin de la table sur laquelle elles sont déployées. Dans l’immensité que représente l’Argentine, une piste qui traverse une chaîne de montagnes, évitant ainsi un détour de deux cents kilomètres par la route, ne peut qu’aviver la curiosité.
 
La carte au 1/2000000 e ne livre aucun secret, un simple trait fend le relief en passant juste sur la préposition de cette magnifique appellation « Sierra de Fiambala ». Fiambala est un gros bourg très connu depuis que le Rallye Dakar se déroule en Amérique du Sud. Sa réputation provient de ses dunes qui font la joie des compétiteurs mais aussi des simples promeneurs. En préparant notre dernier voyage à vélo à travers le nord de l’Argentine, cette aventure de soixante-dix kilomètres de piste nous l’attendions. J’avais bien lu deux blogs de cyclos au long cours qui l’avaient parcouru ce chemin du bout du monde. Ils en parlaient avec respect, décrivant de longues poussées de vélo à travers un paysage austère. Cet ancien tracé de la Ruta 40, maintenant abandonné depuis de nombreuses années, est décrit dans le guide qui lui est destiné avec des mots dithyrambiques comme ardu, dénivelés et rios à franchir. Il est même précisé que cette piste est au programme d’agences spécialisées.
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Rien de tel pour décupler notre envie de nous y confronter à notre tour, à la force des mollets. Nous constaterons que, dans la partie la plus difficile, nous ne verrons pas de traces de pneus de voitures. Ce fut l’un des moments forts de notre séjour argentin, au cours des trois mille six cent soixante-six kilomètres parcourus. Nous pensions que selon les conditions du revêtement qui la recouvre, plus ou moins mouvant, gravier et sable, peu ou prou cabossé, de la grosseur des pierres qui la parsèment et du dénivelé, il nous faudrait deux à trois jours pour la parcourir. Nous n’avions aucune idée de l’altitude du col à franchir. Notre carte, particulièrement taiseuse, ne nous livrait qu’un indice, le point culminant de la chaîne à 4676 mètres. Je me doutais bien qu’il n’y aurait aucun rapprochement avec ce que j’avais connu au cours d’une fabuleuse traversée de neuf cents kilomètres de pistes au nord du Laos, où le chemin passait assez systématiquement sur les points hauts. Mais tout de même, le point de franchissement se situait-il à 2000, 3000 mètres voire plus ?
 
Dans ces incertitudes se niche l’attrait de l’aventure en autonomie. Ne pas savoir, rien de plus jubilatoire lorsqu’on s’engage. Dans nos vies trop planifiées, où l’on veut tout maîtriser, particulièrement le temps, ces plages de flou laissées au hasard de l’état des pistes sont une vraie cure de jouvence. Nous voilà à Londres, non pas la capitale de la Grande Bretagne, mais une petite bourgade sur la fameuse Ruta 40. Le guide Michelin nous donne l’explication : son nom lui a été donné en hommage au mariage du roi Philippe II d’Espagne et de Marie Tudor, originaire des bords de la Tamise. Cela fait une vingtaine de jours que nous avons quitté Salta, parcouru un peu plus de mille kilomètres et gravi un volcan de plus de 5500 mètres. La forme est bonne et c’est plein d’impatience que nous attendons la découverte de ce chemin, à travers cette zone secrète.
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Les premiers renseignements sont à la hauteur de nos espérances, mais un peu inquiétants tout de même. La route est interdite et non entretenue, considérée comme impraticable. Cela nous ravit car nous sommes prêts à pousser durant des jours. Mais ce qui nous inquiète, la police en interdirait l’accès. Nous espérons bien nous soustraire à sa vigilance, mais si quelques gendarmes contrôlent le carrefour d’accès et que l’ordre nous est intimé de rebrousser chemin, il sera difficile de faire autrement. Je comprends la police qui n’a pas envie d’aller récupérer des imprudents perdus. Celle-ci nous a déjà tirés d’un mauvais pas, lors de l’accident de notre troisième camarade au pied du volcan Tuzgle, et qui a dû être rapatrié en France. Dans le petit hôtel où nous logeons, j’ai toutes les peines du monde à me faire préciser par le propriétaire la position de l’embranchement de notre piste interdite. D’une part, je n’avais pas encore réalisé que de nombreux Argentins ne prononcent pas Ruta mais Jouta. Mais voilà, une fois qu’on le sait, plus de problème. D’autre part, cette piste n’étant plus utilisée, il m’indiquait le carrefour à soixante-dix kilomètres entre la R40 et la R60, jusqu’à ce qu’il finisse par comprendre que nous voulions couper directement. Mais de toute façon, nous avions sur nos portables l’application « MAPS ME », redoutable tueuse d’incertitude. Ce système est diabolique ! Sur la Terre entière, il fournit les moindres chemins et comme il matérialise votre position par un petit triangle bleu, adieu les sensations fortes, fini le droit de se perdre à moins de couper ou d’avoir déchargé la batterie. Mais cette dernière hypothèse ne se présente jamais, car faire le point prend seulement trente secondes. Et puis, sur nos vélos, nous avons des prises pour recharger sur la dynamo installée dans le moyeu de la roue avant, et si cela ne suffit pas nous avons une batterie tampon qui permet plusieurs recharges de téléphone portable.
 
Après une nuit ponctuée de nombreux réveils, la faute en revenant à une boîte de nuit, installée juste en face de notre chambre, et génératrice de décibels jusqu’à cinq heures du matin, nous nous préparons pour cette belle aventure qui va nous conduire, à travers la montagne, à Tinogasta, au pied du fameux paso San Francisco qui sera notre prochain objectif. Quand je dis au pied, c’est à la dimension de ce gigantesque continent, car deux cent cinquante kilomètres séparent cette petite ville du col.
 
C’est donc lourdement chargés que nous démarrons cette journée. Pour ma part, je suis porteur de neuf litres d’eau ce qui n’est pas énorme car si notre trajet dure trois jours, nous en manquerons certainement mais si deux jours suffisent pour cette traversée, nos réserves seront amplement suffisantes. Les deux ou trois kilomètres qui nous séparent de l’entrée de la piste sont rapidement parcourus sur une route désertée par les voitures à cette heure matinale. Après une petite erreur, vite repérée grâce à MAPS ME, nous rentrons sur le bon chemin. Ouf, pas de poste de police pour contrôler l’accès à cet itinéraire abandonné.
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Les premiers kilomètres sont faciles, plats et au revêtement de terre solide, ce qui permet de rouler à quinze kilomètres/heure. Nous verrons même quelques fermes. Puis la piste prend un aspect de cul de sac au niveau d’une dernière maison. L’homme que nous rencontrons et que nous interrogeons reste très vague. Nous avons le sentiment qu’il ne s’est jamais aventuré au-delà de chez lui, dans la direction qui nous intéresse. Brutalement, la largeur de la piste diminue et le sable transforme sa surface en plage. Les roues s’enfoncent dans cette matière inconsistante au point que parfois, les sacoches avant se posent générant un important frottement. Dans ces circonstances difficiles, on commence à douter. Et si la piste était de cette qualité durant cinquante kilomètres ? On a beau avoir une grande pratique en matière de pistes abominables, le doute s’insinue. Nous essayons même par moments de pousser nos vélos en dehors de la trace. Mais de redoutables buissons, aux épines dures comme de l’acier, nous en dissuadent rapidement. Même sur le sable, il nous faut faire attention à quelques arbrisseaux morts dont les piquants n’attendent que nos pneus pour les transpercer.
 
D’ailleurs, ils n’attendent pas longtemps, André crève. Et comme les emmerdes n’arrivent jamais seules, sa chambre à air de rechange est aussi crevée, alors qu’elle est neuve. Mystère ? La piste escaladant un flanc de montagne, la mer de sable finit par nous libérer. Mais les cailloux la remplacent et la pente devient assez conséquente. Nous continuons donc à pousser nos vélos mais si les sacoches ne frottent plus le sol, elles heurtent seulement de temps à autres des pierres de grosse taille. Elles vont tellement subir d’abrasion qu’après cette expérience elles seront constellées de trous. Je les jetterai à la fin du voyage après tout de même une dizaine d’années de bons et loyaux services. Suite à une partie sinueuse, nous atteignons un plateau au sol assez consistant et à l’inclinaison très douce. Durant une dizaine de kilomètres, nous pouvons monter à nouveau sur nos vélos et progresser à dix kilomètres/heure. Tout étant relatif, nous considérons cette vitesse comme très honorable. Seule personne motorisée rencontrée durant ces deux jours, un Argentin à moto qui coupe à travers la montagne pour éviter les deux cents kilomètres de route.
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La dernière section qui nous conduit au point haut de cette traversée, consiste en une piste tout en virages. En très mauvais état, de nombreux éboulements l’obstruent. Si cela ne nous pose pas vraiment de problèmes à vélo, ces encombrements nous obligent quand même à quelques portages de nos montures. Mais un véhicule, même 4x4, aurait beaucoup plus de difficultés à franchir les portions détériorées. Sans doute les occupants du véhicule seraient-ils forcés de faire quelques travaux de terrassement. D’ailleurs nous ne voyons aucune trace de pneus de voiture. Enfin à dix-sept heures, nous arrivons au col, à 1874 mètres.
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La descente ne sembCuesta Zapata à vélo  52610
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La piste s’enfonce dans une vallée aux pentes très raides. Elle se déroule au-dessus d’abîmes impressionnants. Un mauvais rebond sur une grosse pierre, un déséquilibre et c’est la chute de quelques centaines de mètres au fond d’une gorge sauvage. Nous essayons de nous maintenir au maximum éloignés du vide. Mais ce n’est pas toujours possible, ce qui déclenche quelques bonnes montées d’adrénaline. Nous savons que la petite ville de Tinogasta se niche quelque part dans cette gigantesque plaine qui s’étale devant nous. Mais la démesure des espaces andins ne nous permet pas de la repérer. Plus nous descendons et plus le danger d’une chute mortelle s’éloigne.
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Un peu avant la tombée de la nuit, une ruine en bordure de chemin nous permet un bivouac confortable. L’air est doux et le vent faible, conditions idéales. Seul point négatif, d’autres avant nous ont de toute évidence bivouaqué ici. La preuve s’il en est, de nombreuses bouteilles en plastique et boîtes de conserve jonchent le lieu. Dommage ! Nous commençons par nous faire un thé chaud, agrémenté d’une bonne quantité de miel, puis un plat de riz. Nous ajoutons des cubes de bouillon aux légumes à l’eau de cuisson, ce qui nous permet de la consommer en soupe. Il n’est pas question que nous perdions une seule goutte de l’eau que nous transportons sur nos vélos.

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Le lendemain, par une piste très roulante, nous atteignons sur la Ruta 60 la petite ville de Tinogasta. La dernière partie de cette traversée offre, sur les quinze derniers kilomètres, un spectacle affligeant. Nous parcourons ce que l’on peut considérer comme une gigantesque décharge à ciel ouvert. Le vent violent de ces régions se fait un plaisir fou à disséminer « aux quatre vents » des déchets de toutes sortes et les buissons sont pavoisés à l’envi de vieux sachets de chips et autres rejets de notre société de consommation. Ces deux jours resteront pour nous un magnifique souvenir hors du temps et loin des hommes. Le vélo est à mon sens un outil magnifique, qui seul permet de vivre de telles expérience en autonomie avec une logistique minimale. L’étape suivante, le paso San Francisco, va aussi nous procurer de belles émotions dans une nature sauvage et très hostile.

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