Mes chroniques albanaises
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Mes chroniques albanaises
J'espère aller en Albanie en Novembre pour deux courtes semaines, pays qui est cher à mon cœur. En préparation de ce voyage je vais prendre le temps de publier quelques chroniques de mes expériences vécues sur place afin de me préparer au mieux à ce retour aux sources de ce pays dont je me sens un peu citoyen.
En voici le premier chapitre:
Albanie impressions et nostalgie 2002
Le récit que je vais vous faire, consiste en un certain nombre de flashes et de sensations qui ont été les miens après trois années passées dans ce pays, entre 1999 et 2002. Ma perception des choses peut être plus ou moins erronée, voire partiale. Il est en effet sur un sujet aussi vaste, très difficile d'appréhender la situation en faisant abstraction de sa propre perception. D'ailleurs, n’y a-t-il qu'une seule réalité ?
Comme pour beaucoup de Français, l'Albanie représentait pour moi un pays très mystérieux dont on ne savait rien, et ce mystère m'a toujours attiré. C'est entre autres ce qui m'a conduit à me porter candidat pour aller y travailler.
Base abritant les navires de guerre de l'époque communiste
Ce mystère était entretenu du fait de la conjonction d'une multitude de facteurs. Ma curiosité avait en outre été avivée par une discussion avec un pilote de chasse un peu avant mon arrivée à Tirana. Vers les années 1980, alors qu'il convoyait un avion vers la Grèce, survolant la mer Adriatique, il regardait très intrigué vers la gauche, car sa carte ne mentionnait qu'une vaste zone grise. De quoi laisser libre cours à tous les fantasmes.
L'Albanie représentait à mes yeux un pays du sud couvert de grandes montagnes désertes et hostiles, avec la mer bleue en toile de fond comme en Grèce. Ce en quoi je ne m'étais pas trompé. L'hiver la montagne enneigée tombe dans la mer ionienne. Eh oui, l'Albanie, baignée par deux mers, Adriatique et Ionienne, ne s'étend que sur 28000 kilomètres carrés. L'Albanie, à l'image de ses habitants, n'a pas de complexe et s'affiche à l'image des grands. Sa population est de l'ordre de trois millions d'habitants, si proches et si différents d'un bout à l'autre du pays. Pays de bandits depuis la plus haute antiquité, où déjà à l'époque de la splendeur de l'Empire Ottoman les militaires turcs craignaient d'être affectés. Certaines des vallées du nord sont restées catholiques, car les sultans toujours pragmatiques, connaissaient le prix à payer pour réduire quelques tribus prêtes à tout pour garder leur indépendance. On se croirait presque en Gaule au temps d’Astérix et Obélix.
L'Albanie évoquait aussi pour moi un pays qui, après un régime communiste particulièrement dur, venait de s'ouvrir au monde extérieur et dans lequel tout restait à faire. Enver Hodja avait poussé le culte de la personnalité très loin, mais probablement pas plus loin qu'un Staline ou un Ceausescu. Entre parenthèses, concernant ces deux personnages, je conseille les livres suivants : Beria vie et mort du chef de la police secrète soviétique de Thaddeus Wittlin (Elsevier Séquoia) et Horizons rouges dans les coulisses de la maison Ceausescu par l'ancien chef des services secrets roumains, le Général Ion Pacepa (presse pocket). Revenons à nos moutons !!! Là je débarquai avec ma formation et mes idées cartésiennes dans un monde bien différent de celui que je connaissais.
Drôle de tortue
L'Albanie, c'est tout d'abord ce peuple marqué par cinquante ans d'un système aberrant et monstrueux, où la terreur et la délation s'étaient insinuées jusque dans la cellule familiale. Plus personne n'osait parler même à ses proches. La littérature albanaise actuelle est très fortement focalisée sur la narration de ce passé douloureux, à la manière d'un patient en séance de psychothérapie. Les auteurs à ne pas manquer sont Kadaré (Avril brisé, le général de l'armée morte...), Fatos Kongoli (peau de chien), Maks Velo, Ylet Aliçka (slogans de pierre) et Jusuj Vrioni. Ce dernier était jusqu'à sa mort, en 2001, le traducteur officiel d’Ismaël Kadaré. Il parlait un français parfait. Dans les années trente il avait été major de sa promotion à HEC. Il est l'auteur d'un seul livre (à ma connaissance) à caractère biographique « Mondes effacés, souvenirs d'un Européen ». Un soir je l'avais raccompagné de Dürres à Tirana et j'aurais aimé que le trajet soit cent fois plus long, tant sa conversation était passionnante.
L'Albanie, c'est aussi et surtout le pays de la rumeur, où il n'est jamais possible de situer la frontière entre la légende et la réalité. Des événements si déconcertants pour notre forme de pensée s'y sont passés et s'y passent encore.
Vieil hélicoptère d'origine soviétique fourni par les Russes ou les Chinois
Lorsque vous vous déplacez, on vous prévient que les risques d'agression sont toujours si importants, que de nombreux Albanais n'osent pas bouger. Mais lorsque vous prenez votre courage à deux mains et que vous vous aventurez sur les routes pour vous rendre dans ces fameuses vallées perdues, où les troupes ottomanes avaient dû reculer, vous découvrez une réalité albanaise bien différente de notre rationalité, qui met des frontières bien marquées entre ce pays et ses voisins.
L'Albanie, c'est cet homme qui vous aborde de nuit dans un village à l'aspect lugubre et plongé dans une pénombre épaisse, et qui vous demande dans sa langue «T'as de quoi manger, t'as de quoi dormir», il ressent chez vous une certaine crainte et il vous offre spontanément le gîte et le couvert, même si cela implique qu’il doive vous donner son repas et se passer de manger. C’est aussi ce gamin qui habite au Monténégro et qui passe la rivière à gué pour venir à l'école dans un village du côté albanais.
Dans les montagnes albanaises
C'est aussi ces petits Albanais d'Albanie, que vous voyez jouer au football sous un mirador, et tout surpris vous réalisez que ce dernier est en Macédoine et que normalement il est destiné à empêcher les Albanais de passer la frontière.
C'est aussi ce camion lourdement chargé qui arrive directement du Kosovo. Alors qu'il n'y a pas de route, il apparaît brutalement au bout du champ en pente, surchargé et penchant dangereusement.
Dans une caserne albanaise
Mais l'Albanie, c'est aussi cet Albanais du sud, qui lorsque vous lui adressez la parole dans sa langue, fait semblant de ne pas comprendre et dans le meilleur des cas vous répond en grec, et qui traite d'Ottoman celui qui parle albanais. J'ai vécu des situations cocasses, posant une question en albanais, mon interlocuteur albanais me répondant en grec en demandant à mon épouse de traduire en français. Alors s’engageait une discussion à trois bandes, albanais, grec et français. Attention selon les villages dans la région de Dhërmi, de ne pas confondre entre « kali nirta » et « mirë mbrema », bonne nuit en grec ou bonsoir en albanais.
Cependant, les Albanais ce sont toujours des gens très accueillants qui, bien souvent même s'ils n'ont rien, vous offrent tout. Je ne puis m’empêcher de faire une comparaison avec une réunion de cadres supérieurs en France, où chacun à la pause fait bien attention de ne pas payer le café de son collègue à trente centimes d'euro. J'arrête là les comparaisons, mais cela m'a fait ressentir un malaise profond quant à notre société.
Ce sont aussi, toujours des gens déchirés par ce passé terrible, qui n'en a épargné aucun et qui les a tous marqués de façon irrémédiable. Des familles toujours à la recherche de leurs morts, tués par le système répressif du dictateur Enver Hodja, qui dans leur quête d'indices payent les meurtriers. Quarante-huit camps d’internement, 80000 ou100000 prisonniers politiques, internés ou relégués. La différence est simple, soit le camp de concentration avec barbelés ou l'exil dans une région éloignée avec interdiction de la quitter. Beaucoup d'Albanais croisent dans la rue et vous montrent leurs geôliers de l'époque communiste. De façon paradoxale, dans ce pays où la violence peut exploser brutalement, bourreaux et victimes cohabitent dans le calme, alors que la loi du Kanun (vendetta locale) maintient toujours cloîtrées de nombreuses familles dans la crainte de la vengeance par le sang. Ce qui se rapporte au passé tragique communiste semble être exclu du processus de représailles. Sans doute avons-nous eu des démarches similaires dans d'autres circonstances en Europe de l'Ouest.
L'Albanie, c'est aussi le procureur général d'une ville du nord qui un dimanche vous accompagne, un gros pistolet à la ceinture, suivi de près par son garde du corps, et qui à chaque halte vous offre un double raki et, lorsque de temps en temps retentissent dans la montagne des tirs à la mitrailleuse lourde, il vous dit en souriant qu'il s'agit d'un mariage. Ce même procureur, lorsque le lundi matin, il vous fait visiter le palais de justice, vous explique que pour juger et condamner un bandit dangereux, il fait venir un juge de Tirana, qui quittera le lieu du jugement immédiatement après la sentence, pour éviter une rétorsion fatale immédiate de la part de la famille.
L’Albanie, c'est aussi cette vallée reculée à l'extrême pointe nord du pays, où se situe le village de Vermosh. Le vieux berger qui vous offre le café, vous demande des nouvelles de la guerre. Vous lui demandez de quelle guerre il s'agit. Bien évidemment de la guerre en Afghanistan, s'empresse-t-il de vous répondre, tout étonné de votre incertitude. Puis, d'un air malin , il vous précise qu'il a une fille qui habite à Miami et un fils à New York, quant au troisième enfant , un garçon casanier, il s'est arrêté à Rome. Ensuite il sort son téléphone portable, et vous montre d'un air moqueur sur la colline du côté monténégrin, le relais téléphonique serbe qui lui permet de communiquer avec ses enfants. Lorsque vous vous éloignez presque en pleine forêt de quelques dizaines de mètres de sa ferme, vous tombez sur le Monténégro et là apparaît un soldat serbe pas décidé à accepter le moindre franchissement de frontière. Son arme individuelle avec une baïonnette bien brillante vous enlève toute envie de plaisanter, bien qu'il ne se montre pas menaçant. Mais depuis, le Monténégro a obtenu son indépendance et cela a peut-être changé.
L'Albanie, c'est aussi les slogans de pierre, immenses inscriptions faites de cailloux peints en blanc et accrochés au plus haut, aux flancs des montagnes, afin que l'on puisse s'imprégner de loin de la propagande du régime disparu d'Enver Hodja. Bien qu'à l'abandon depuis l'écroulement de la tyrannie au début des années quatre-vingt-dix, ces « œuvres » sont toujours très visibles. Certaines sont immenses et ont demandé pour leur construction le déplacement de centaines de personnes, qui devaient effectuer de nombreuses heures de marche pour arriver sur le site d’édification, qui parfois durait plusieurs semaines du fait du gigantisme de certaines de ces inscriptions.
L’Albanie, c'est aussi ces centaines de milliers de bunkers, soit petits pour le soldat soit gros pour une pièce d'artillerie, qui à eux seuls mériteraient un livre, sans parler de ces pieux métalliques en queue de cochon qui hérissaient le pays dans l'attente de percer les pieds des parachutistes de l'OTAN ou du Pacte de Varsovie. Du col de la route menant de Saranda à Girokastra, vous pouvez en dénombrer d'un seul coup d'œil plus de 600. Le regard embrasse en contrebas une large vallée faisant face à la Grèce.
L'Albanie, c'est encore la ville de Korça, coincée entre la Macédoine et la Grèce, où reposent 640 soldats français, tombés au cours des guerres balkaniques. Ville de tradition française du fait de notre forte présence entre les deux guerres mondiales. Chaque année pour la commémoration du 11 novembre, l'attaché de défense français, aux côtés de l'ambassadeur de France, organise une cérémonie militaire, empreinte d'une grande émotion. Il est difficile de retenir ses larmes lorsque les anciens élèves du lycée français entonnent leur répertoire de chansons françaises.
Cérémonie militaire du 11 novembre au cimetière militaire français de Gorça
Outre ces clichés qui restent déconnectés de l'instant présent, l'Albanie actuelle est caractéristique d'un pays passé sans transition du communisme le plus absolu à l'ère du capitalisme le plus effréné, où liberté individuelle signifie pour beaucoup le droit de faire tout et n'importe quoi pour s'enrichir. Cette frénésie de liberté s'alimente à la source d' une double frustration, interne et externe. Interne, du fait du long régime carcéral imposé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, externe, à cause du dépeçage (selon le point de vue albanais mais, à mon sens, ils ont de bons arguments, lire à ce sujet le merveilleux livre du diplomate français Justin Godard « l'Albanie 1921 » Presses Universitaires de France), dépeçage donc de la zone de peuplement albanais décidé par les grandes puissances et ratifié par le traité de Londres en 1913 à la veille de la première guerre mondiale. Je ne me range pas à leurs arguments, je dis simplement qu'ils existent.
Les problèmes de territorialité dans les Balkans sont insolubles, car deux conceptions s'affrontent, la notion de nationalisme liée à une entité territoriale définie et fortement conceptualisée en Europe occidentale au 19 ème siècle et la perception ottomane permettant à des peuples de religions différentes de vivre sur un même territoire pourvu qu'ils acceptent la vassalité à l'Empire Ottoman. Chaque peuple en remontant dans son passé trouve de bons arguments pour revendiquer la terre sur laquelle il habite. Lire à ce sujet le livre très intéressant de Jean-Arnault Dérens « Balkans : la crise ». De cet état de fait, il résulte une grande confusion, exacerbée par le dysfonctionnement profond d'une société dans laquelle tout sens civique a disparu, car il est assimilé à un comportement communiste. Tirana est l'exemple le plus flagrant de développement anarchique. Cette ville de 700 000 habitants, y compris la conurbation qui englobe quasiment Dürres, à la démographie galopante due à l'exode rural pour cause de misère, voit les immeubles pousser comme des champignons. Mais les capacités en eau et électricité ne suivent pas la demande et ne seront pas effectives avant longtemps, parce que les immeubles sont construits sur fonds privés et que les investissements structurants relèvent de fonds publics nationaux ou internationaux. Parler d'un pays pauvre n'est pas exact, dans la mesure où le prix du mètre carré est conséquent en ville, et tout s'achète en cash, en payant au fur et à mesure de la construction du bâtiment. Les voitures luxueuses sont légion, et même volées, elles ont un coût, car la longue chaîne des compromissions nécessaires pour passer les frontières et falsifier les papiers implique paiement. Ces modes de fonctionnement ne sont pas l'apanage exclusif de ce pays. Cela existe dans tous les pays qui viennent de quitter le communisme, et si l'on y regarde de près, nos démocraties occidentales n'ont pas de leçons à donner. Sans citer de nom, chacun de nous aura immédiatement à l'esprit les traits de certains de nos hommes ou femmes en pointe qui ont été ou sont mêlés à des histoires pour le moins scabreuses. Cela me rappelle cette anecdote : tous les matins, un traducteur fait une synthèse des différents articles de la presse albanaise à l'intention de l'ambassadeur de France et de ses collaborateurs. Et ce matin hilarité générale, au lieu de traduire par république bananière, l'interprète a transcrit république en forme de banane.
Côte albanaise au sud, là où le montagnes tombent dans la mer, point culminant un peu au nord de la photo plus de 2000 m
L'Albanie, à l'image particulièrement ternie à l'étranger, outre ses maffieux très violents, est constituée d'une multitude de gens honnêtes et travailleurs, qui pour partie, ayant perdu espoir en leur pays sont partis travailler à l'étranger temporairement ou définitivement, légalement ou illégalement. De ce fait, une proportion non négligeable de l'élite intellectuelle fuit le pays à flot continu depuis dix ans. Tout le développement en souffre gravement. La grande aspiration de l'Albanie consiste en l'intégration euro-atlantique. Ce sera sans doute à terme le moyen de réunir dans la paix les communautés serbes et albanaises. Je mets ces dernières au pluriel, car entre les populations albanaises des différents pays des Balkans, Monténégro, Kosovo, Macédoine et Albanie il n'y a pas forcément une convergence de vue totale, mais c'est un autre sujet. Les choses évolueront lentement. J'en veux pour exemple, « les Comitadjis » livre qu'Albert Londres écrivit dans les années 20 au sujet de ces extrémistes croates agissant au sein des différents pays de la région et qui est loin d'être démodé un siècle plus tard.
L'Albanie que je vous ai présentée, de façon peut-être partiale et de toute évidence de façon partielle, car il y aurait tant de choses à dire, restera pour moi un pays fascinant. Terre sauvage et mystérieuse, pétrie d'archaïsmes, jetée dans le monde moderne, peuple balkanique, capable du meilleur comme du pire, semblable à ses voisins, qui tous vivent sur les vestiges d'une grandeur passée réelle ou imaginaire. Ce pays je l'ai profondément aimé, non parce que je m'y promenais comme un privilégié, mais parce que le peuple albanais m'a appris à redécouvrir un certain nombre de valeurs, que nous avons perdues en Europe de l'Ouest du fait de la suspicion, voire la peur, à tort ou à raison, que nous inspire notre semblable.
Dernière édition par Lucbertrand le Sam 23 Sep 2023, 17:39, édité 1 fois
Lucbertrand- responsable de rubrique
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Date d'inscription : 07/12/2021
Aggir et Claude67 apprécient ce message
Re: Mes chroniques albanaises
Bravo, très beau texte et qui correspond parfaitement à ce qu'on a vu et ressenti pendant notre mois de voyage là bas. Belle déclaration d'amour à ce peuple extrêmement accueillant qui nous avait aussi touché au cœur. Nous avions aussi adoré les régions du nord si alpines et au mode de vie qui nous avait presque fait penser à des régions himalayennes. Je note les noms d'auteurs pour compléter ma liste de lecture. Lire les livres d'Ismaël Kadare avait certainement été pour nous un élément déclencheur pour nous pousser à aller visiter ce pays.
Marifb- responsable de rubrique
- Messages : 1116
Date d'inscription : 21/12/2021
Re: Mes chroniques albanaises
Un récit beau et instructif; j'espère que tu nous donneras tes impressions après ton retour.
yvesguillem- responsable de rubrique
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Date d'inscription : 05/01/2022
Re: Mes chroniques albanaises
Je suis très impressionnée par ton récit (comme toujours) beaucoup d'expériences irremplaçables vécues en direct !
Les Balkans, l'Europe centrale en général, c'est cet enchevêtrement de cultures, langues et ethnies dont la coexistence plus ou moins pacifique autrefois a été complètement saccagé par l'arrivée des idéaux nationalistes étroits importés de l'ouest. Dommage...
Les Balkans, l'Europe centrale en général, c'est cet enchevêtrement de cultures, langues et ethnies dont la coexistence plus ou moins pacifique autrefois a été complètement saccagé par l'arrivée des idéaux nationalistes étroits importés de l'ouest. Dommage...
Re: Mes chroniques albanaises
Superbe découverte de cette Albanie qui semble si mystérieuse et si lointaine
Georges et les bouteilles à la mer
Mon histoire a pour acteur principal Georges. La scène se déroule en Albanie dans le village de Dhërmi au sud du pays au bord de la mer Ionienne. Georges, vieil Albano-Français, bloqué dans le pays par la déclaration de la deuxième Guerre Mondiale et ensuite, par l’arrivée au pouvoir d’Enver Hodja dont le règne a duré jusqu’en 1985. Bien qu’il soit mort le 11 avril de cette année 1985, son régime s’est réellement écroulé quelques saisons plus tard. Le pays est resté 35 longues années sous le joug de ce dirigeant, de 1950 à 1985, personnalité qui se compare en tout point à la lignée nord-coréenne des Kim Jong-Il et Kim Jong-Un.
Pour couronner un règne apocalyptique subi par la population albanaise, à partir de 1981 il est tombé dans une paranoïa sévère. Sous l’emprise de cette maladie, il suspectait ses proches collaborateurs de vouloir le renverser et les faisait éliminer. Outre l’exécution de son successeur désigné, un exemple montrera bien cette ambiance de défiance meurtrière : Il demande au chef d’Etat-Major des armées d’organiser une grande démonstration des savoir-faire militaires. Lui-même n’y assiste pas, mais son émissaire lui rapporte que son chef d’Etat-Major a réalisé une prestation remarquable. Enver Hodja se dit alors, s’il a un tel ascendant sur l’armée, il pourrait la retourner contre lui et prendre le pouvoir. Il le fait immédiatement arrêter et fusiller. Voilà l’ambiance de suspicion généralisée qui régnait en Albanie au moment de mon récit. Un livre en donne une bonne image « Le médecin et le dictateur » d’Yves Pouliquen paru chez Odile Jacob. Médecin français appelé secrètement en 1979 pour le soigner de son diabète, il raconte par le menu cette relation directe avec son patient.
Carcasses rouillées que l'ont voyait fréquemment il y a vingt ans
Revenons au personnage de mon récit, Georges, dont le père était albanais et la mère d’un autre pays balkanique. Il était né en 1933 par le hasard des tribulations de sa famille à Lyon et, tout naturellement il parlait de ce fait un français châtié. Je l’ai connu en 1999. Il n’avait que 66 ans mais en paraissait beaucoup plus. On comprend facilement que cinquante années d’enfermement sous la férule d’un régime arbitraire et sanguinaire vous usent prématurément.
Bien évidemment, il était tout content que l’on vienne le voir et, il m’arrivait d’aller passer quelques jours chez lui dans son village surplombant la mer, au pied d’une magnifique montagne qui jaillissait au-dessus des flots et qui culminait à plus de 2000 mètres d’altitude. Combien d’histoires extraordinaires ne m’a-t-il pas racontées. Chez ce peuple d’Albanie du sud, en plus de ce traumatisme de l’ère communiste se greffe un autre problème toujours bien réel en cette fin de XXème et début de XXIème siècles, la langue. Je vous en parlerai dans un autre chapitre.
Passant outre le flou des contours des zones de parler grec et albanais dans le sud de l’Albanie, je vais aborder l’histoire des bouteilles à la mer s’affranchissant des frontières.
Plage albanaise constellée de bunkers il y a 20 ans, maintenant presque tous détruits
Un beau matin au cours de cette période de paranoïa totale vers les années soixante-dix un pêcheur vient taper à la porte de Georges. Intrigué, ce dernier se voit tendre une bouteille avec un message à l’intérieur. S’agirait-il de la demande de secours d’un naufragé. L’homme lui dit qu’il vient de l’attraper dans ses filets et que n’étant pas rédigé en albanais il n’en comprend pas la signification. Georges est tout désigné pour jouer les Champollion, pense le marin. En effet, dans le village on l’appelle l’étranger. Voilà pourquoi il vient de lui demander son aide pour décrypter une langue étrangère.
Georges, piqué de curiosité mais aussi terriblement sur ses gardes, prend le morceau de papier, le déplie et, après lecture dit au pêcheur qu’il ne comprend pas ce qui y est inscrit. Ce dernier repart déçu. En réalité, Georges a très bien compris car le texte est rédigé en français. Mais, en cette période trouble d’une dictature folle, il a peur qu’on lui tende un piège. Déjà qu’on le dénomme l’étranger du fait qu’il est né et a vécu en France. Cette origine peut à tout moment le précipiter dans de grosses difficultés, l’internement, la relégation, le camp de concentration ou pire le poteau d’exécution. Sur une population de trois millions d’habitants plusieurs centaines de milliers vivent sous le joug de l’une de ces rétorsions en excluant bien entendu les exécutés.
Rencontre entre militaires français et albanais
Sa confiance dans le régime et sa police est nulle. Enver Hodja se méfie d’autant plus de ses concitoyens qui ont une expérience étrangère, qu’ils sont à même de comparer et cela il veut absolument l’empêcher, facteur puissant de déstabilisation du régime despotique qui plonge ses concitoyens dans une douloureuse claustration. Dans sa propagande il fait circuler des informations sur le martyre que vit la population occidentale sous le harnais du capitalisme, comme celle de l’Est sous le joug du communisme. Il prend même comme exemple les queues à Paris le dimanche matin devant les pâtisseries réputées en expliquant qu’il s’agit de longues files d’attente dues à la pénurie de pain.
En effet, dans l’Albanie de cette époque il ne faut pas grand-chose pour se retrouver entre les mains d’interrogateurs qui très rapidement vous envoient en relégation, en prison, en camp de concentration et éventuellement vous traduisent illico presto devant un peloton d’exécution. De nos jours, il suffit de visiter le musée national à Tirana qui consacre un large espace au système répressif pour comprendre que l’on vivait dans la terreur de l’arbitraire.
Différence entre relégation et camp de concentration, cette deuxième notion n’a pas besoin d’explication, mais la première si. La relégation signifiait être envoyé dans une région reculée du pays où on vous astreignait à un certain travail sans être derrière des barbelés. Cependant, il vous était strictement interdit de quitter votre lieu d’assignation. Si l’idée vous en prenait, vous étiez immédiatement découvert car les points de contrôle étaient nombreux et les véhicules pour se déplacer rares et dans les transports en commun vous deviez montrer votre autorisation de mouvement au chauffeur. Youssouf Vrioni l’explique très bien dans son autobiographie « Mondes effacés souvenirs d’un Européen ». Rappelez-vous, il a été major de sa promotion HEC, m’a-t-on dit, donc il est en mesure de comparer objectivement les deux régimes, français et albanais ce cette époque.
Georges, dans sa montagne du sud de l’Albanie, se trouve bien mieux que dans une plaine insalubre du nord entre marais infestés l’été et grands froids en hiver. De son promontoire il domine la mer de quelques centaines de mètres. La vue porte loin et il ne manque pas grand-chose pour que là-bas au sud il puisse voir l’île de Corfou. A ses pieds s’étire une plage de galets gris constellée de ces fameux blockhaus qui ont donné cette image si particulière au pays des aigles. Au-dessus de chez lui, la montagne monte à plus de 2000 mètres, un sommet dénommé le Cika, qui veut dire jeune fille. Pourquoi cette appellation ?
Ruminant tout un tas de pensées angoissantes en guettant les possibles agents qui l’espionneraient en vue de le confondre, il laisse le temps s’écouler. Il observe la réaction des autorités à son encontre. Rien ne semble se passer. Il reste un certain temps indécis quant à l’attitude à adopter ou à l’action à entreprendre après avoir lu le message et en avoir mémorisé le sens à la lettre près. Puis, timidement prenant son courage à deux, aiguillonné par une lancinante curiosité, il se renseigne, demandant s’il risque quelque chose en écrivant à un étranger. Il lui est répondu que cela ne le mettra pas en danger si dans sa lettre il n’y a aucun secret et qu’elle ne comporte pas non plus de critiques envers le régime et le Président. Mais, lui dit-on la vérité, ou s’agit-il du dernier volet du traquenard qui se resserre inexorablement et qui conduira au grand clic d’un portail de geôle qui se referme avec fracas, pour accusation d’intelligence avec l’ennemi capitaliste.
Enfin, après bien des hésitations, des appréhensions, des battements de cœur et des sueurs froides, le désir de savoir se montre le plus fort. Surmontant toutes ces sombres hypothèses qui pourraient lui être fatales, il décide de répondre à ce message à la mer. Que renferme donc ce fameux écrit ? Il s’agit de la missive d’un habitant de Perpignan qui jette très régulièrement des bouteilles à la mer en grand nombre et qui attend que les personnes les recueillent sur les différents rivages de la Méditerranée, de l’Adriatique, de la mer Egée et de la mer Ionienne et lui répondent.
Georges envoie sa lettre en faisant bien attention de peser le sens de tous les termes employés car la police la lira avant le départ pour la France. La moindre ambiguïté, qui pourrait déclencher une mauvaise interprétation, entraînerait son arrestation immédiate. Les jours suivants aucun policier ne vient sonner à sa porte.
oliviers dans le sud de l'Albanie
Un certain temps après, lui arrive une réponse. L’homme de Perpignan est prolixe. L’Albanie a été le dernier pays à répondre. De tous les autres états du pourtour méditerranéen, à peu près une quinzaine, on lui a répondu et, en provenance de certains d’entre eux les réponses se chiffrent à plus de dix. Si ma mémoire ne me trahit pas le record est de 17. Le plus étonnant, c’est que des territoires comme la Croatie et encore plus surprenant la Slovénie tout au fond de l’Adriatique ont vu s’échouer sur leurs côtes les fameuses bouteilles de ce semeur à toutes vagues. On est à même de se demander si d’autres bouteilles n’avaient pas atteint les côtes albanaises, mais que par peur de la répression personne n’avait osé répondre, à moins que seul Georges eût été en mesure de comprendre la teneur du message.
Vente de poissons
Alors est née une amitié entre Georges et son correspondant français, qui s’est concrétisée par une première rencontre à Athènes une fois le régime carcéral d’Enver Hodja disparu. Lorsque j’habitais en Albanie les services postaux ne fonctionnaient pas très bien. En conséquence le Perpignanais préférait faire transiter ses correspondances pour Georges par l’ambassade. Voilà comment je me suis retrouvé postier entre Tirana et Dhërmi au sud de Vlora, ma casquette de l’armée de l’air ressemblait peut-être à celle du facteur, on m’avait bien pris une fois du côté de Lyon pour le chef de gare, et la bonne dame qui me demandait un renseignement s’était émue que je ne sois pas en mesure de le lui fournir. Chacun de mes trajets pour lui apporter une lettre était l’occasion de l’écouter raconter les histoires balkaniques les plus surprenantes. De toute évidence, les autres ne pensent pas comme nous. Si vous en doutez, lisez le très instructif et passionnant livre du diplomate Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur très expérimenté, qui porte ce titre ; éditions Bouquins paru en octobre 2022.
Lucbertrand- responsable de rubrique
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mjp et Olivard apprécient ce message
Chapitre 3:La langue et les élections au sud de l'Albanie
Je ne donne pas de nom de village ou de ville dans ce texte, car ce que je vais vous relater en matière d’élections remonte à plus de vingt ans. Le pays évoluant très vite, il est fort probable qu’il s’agisse d’une période révolue, tout du moins je l’espère.
La langue pratiquée reste une question épineuse dans cette région du sud. L’albanais et le grec, deux idiomes, l’un est parlé dans une bourgade et l’autre dans celle d’à côté et, la distribution géographique n'a pas de logique. L’Albanais, utilisant comme langue le grec, ne se prive pas de traiter son concitoyen du bourg d’à côté, s’exprimant en albanais, d’ottoman. Comme je l’ai déjà raconté, parlant albanais et non grec, langue que mon épouse pratiquait, il nous arrivait de parler en trois langues, je posais une question en albanais, mon interlocuteur répondait en grec et demandait à mon épouse de traduire en français.
Lavdi Deshmorevë Gloire aux morts
Voilà le contexte qui explique les tribulations qui ponctuent les élections dans le coin. A cette époque, la fin du XXème siècle, dans la plus grande partie du pays nous avions deux partis majoritaires, le parti socialiste et le parti républicain. Les leaders des deux groupes sortaient tout droit de l’époque dictatoriale imposée par Enver Hodja. Dans nos pays dits démocratiques, la discussion politique entre droite et gauche est pratiquement impossible, sans être traité soit d’islamogauchiste soit de fachiste ou peste brune, alors imaginez chez ce peuple sortant d’une persécution, d’une congélation des esprits et des idées à peine imaginables durant plus d’un demi-siècle.
Nous y voilà, les élections législatives eurent lieu. Dans la plus grande partie du pays, le scrutin se déroula en termes de résultats à l’image de ce qu’était la France il y a une trentaine d’années. Globalement, le PS et les Républicains se partagèrent les élus. Dans le sud, il en alla tout autrement. La mouvance grécophone vint troubler très sérieusement la donne, car elle s’invite systématiquement au second tour. Et là, cette fois, comme toujours, le déroulement prit une tournure particulière. Au premier tour, ce parti arriva en tête comme d’habitude et, cette fois les Républicains finirent en seconde position.
Prisonniers allemands
Droite et gauche, alors se retrouvèrent soudées et votèrent comme un seul homme et, soutinrent d’un bloc le candidat albanais contre le parti grec, taxé de séparatiste. Par un hasard sur lequel je n’épiloguerai pas, j’ai pu assister aux deux tours de ces fameuses élections dans ce sud albanais. Une pièce de théâtre à la Pagnol se déroula en direct sous mes yeux.
Pour bien comprendre le développement de ce à quoi j’assistais, les explications et des commentaires de mes accompagnateurs albanais, Georges et Zalo mon interprète me furent indispensables. Avec 25 ans de recul, je garde de cette expérience un sentiment d’irréalité et d’incrédulité.
Le premier tour de suffrage se passa sans incidents majeurs malgré quelques situations étonnantes. Par exemple, une grosse engueulade, à 30 minutes de la fin du scrutin entre les représentants des différentes opinions, provoqua la sortie de tous sauf de ceux de l’un des partis. On imagine très bien ce qui se passa durant ce laps de temps.
Komunistet nuk dorezohen les communistes ne se rendent pas
Deux semaines plus tard, le deuxième round s’engagea dans une ambiance pour le moins tendue. La préparation des jours précédents était axée sur l’action de communication de la coalition PS-Républicains, dénonçant le parti de l’étranger. Un peu avant l’ouverture des bureaux de vote, je me suis positionné sur la place du village dans l’attente d’un spectacle prometteur. Je fus comblé très au-delà de mes espérances. Le lieu était enchanteur, la montagne resplendissait et, loin en dessous ce jour-là la mer scintillait au soleil. Un grand calme régnait. Au paradis préparation d’une journée tumultueuse. L’heure fatidique sonna, le bureau ouvrit. Un homme affublé d’un pantalon de treillis militaire et d’une veste civile se mit en poste devant la porte. De la large poche bombée de son vêtement couleur kaki positionnée à la hauteur de sa cuisse, incrédule je regardai, hypnotisé, le silencieux, à la section cylindrique, d’une arme de poing qui émergeait de quelques centimètres du tissu. « Sans aucun doute Il va y avoir du sport », pensai-je.
Les premiers votants se présentèrent. Ils n’eurent pas besoin de montrer leur carte d’électeur à ce premier pré-contrôle. L’homme au colt les connaissait probablement tous. D’un simple mouvement de tête, le verdict tombait : toi tu rentres voter, toi tu dégages. Cette action liminaire se déroula dans le plus grand calme, les mots étant superflus. Les personnes éjectées se pliaient à la décision de façon résignée sans réaction d’humeur. La peur devait déclencher ce phénomène de passivité. Je n’ai pas eu besoin des explications de Georges pour comprendre le sens de la scène.
Tre Breza Trois générations
Un peu plus tard dans la matinée, d’un coup une foule tumultueuse envahit la place, avec à sa tête un meneur d’un gabarit certain. Il se dirigea vers l’homme armé et commença à vociférer. Il est toujours difficile de savoir si les Albanais se disputent, car ils parlent très souvent sur un registre de voix élevé. Mais dans le cas présent, le doute n’était pas possible. Alors, Georges me glissa à l’oreille qu’il s’agissait d’un député grec, accompagné de travailleurs albanais venus de Grèce en bus, tout spécialement pour soutenir le parti pro-grec. Comme souvent, ça se déroula à l’albanaise, ça crie fort mais rien ne se semble évoluer.
Le dépouillement, le soir venu, valut son pesant de cacahuètes. J’y ai assisté dans un village voisin de celui de Georges, moment d’anthologie. Les chiffres que je vais donner sont approximatifs, car j’en ai oublié le détail, mais ils approchent de la vérité : 310 inscrits, 220 votants, 15 bulletins nuls et 12 blancs. Le score final était sans ambiguïté : 203 voix pour les Républicains et 17 en faveur du parti pro-grec.
Partizani fitimtar Le partisan vainqueur
Je vais vous décrire le dépouillement :
On enleva le couvercle de l’urne, une main plongea à l’intérieur et retira les bulletins les uns après les autres et l’homme à la main annonçait le résultat en déclamant vigoureusement : républicain, républicain…. républicain, républicain. Après une longue litanie, la main providentielle saisit une liasse serrée de bulletins pliés en deux et décompta 17 bulletins, tous pro-grec. Et la longue énumération des « républicain » reprit jusqu’à épuisement du contenu de l’urne, seulement troublée de temps à autre par un nul ou un blanc, pour un total de 15+12= 27. Au moment d’inscrire les résultats finaux, une main hésitante s’empara des 27 bulletins nuls et blancs et les rajouta au paquet républicain et, le score final fut proclamé : 203 contre 17, écrasante victoire des Républicains soutenus par leurs alliés circonstanciels PS. Le plus étonnant, nous étions dans un village grécophone. Mon interprète, avec lequel j’ai gardé de par les années des liens forts d’amitié, me dit d’une voie marquée de surprise et d’incompréhension : « mais ce n’est pas possible, ils parlent tous grec même les pro-albanais ».
Les Albanais chassent les Russes après que Nixon soit allé en URSS
Dans un village un peu plus loin, accroché à montagne, au nom qui claque un peu à la manière de la dénomination d’une tribu indienne, pour éviter tout incident violent au dépouillement, l’urne fut envoyée dans la grande ville en bord de mer à une quinzaine de kilomètres. Cette fameuse boîte mit 4 heures pour faire le trajet. Certes, il faisait nuit et la piste n’était pas très bonne, mais le véhicule tout terrain, la transportant, était de bonne qualité, se jouant facilement des trous et des cailloux. Ce délai paraissait indubitablement louche. Les observateurs internationaux, mandatés pour surveiller la régularité des élections, considérant leur travail terminé à la fermeture du bureau de vote, disparurent et, ne constatèrent pas cette anomalie et n’en firent pas mention dans leur compte-rendu. Cependant, ce retard ne passa pas inaperçu à tout le monde. Un commissaire principal de police français, qui n’avait aucun mandat international, a chronométré le temps de parcours de l’urne, l’attendant au point d’arrivée. Le lundi matin, l’ambassadeur se délecta de nos observations qui contredisaient le rapport officiel émis par les instances européennes, qu’il avait sous les yeux.
Pogradec sous la neige tableau de Taso
Nous avons vécu une histoire albanaise comme Ulljet Alicka en raconte dans son livre « Slogans de pierre ». L’Albanie restera pour moi ce pays où les mythes et la réalité se confondent et s’entremêlent.
Les photos, sauf les deux dernières, sont tirées d'un magnifique livre de propagande qui s'appelle " Ushtria Popullore Ne Artet Figurative" L'Armée Populaire à travers l'art figuratif.
Je ne peux que vous inviter si vous vous rendez en Albanie à chercher dans les souks ou les librairies, les vieux livres de l'époque communiste. Des bijoux d'art de style figuratif stalinien. Il est dommage que tous les pays qui ont subi des régimes communistes très répressifs ont cherché à détruire tout ce qui s'y rapportait. On peut les comprendre, mais les peintures, dessins et statues très expressives de ces temps passés j'adore.
La langue pratiquée reste une question épineuse dans cette région du sud. L’albanais et le grec, deux idiomes, l’un est parlé dans une bourgade et l’autre dans celle d’à côté et, la distribution géographique n'a pas de logique. L’Albanais, utilisant comme langue le grec, ne se prive pas de traiter son concitoyen du bourg d’à côté, s’exprimant en albanais, d’ottoman. Comme je l’ai déjà raconté, parlant albanais et non grec, langue que mon épouse pratiquait, il nous arrivait de parler en trois langues, je posais une question en albanais, mon interlocuteur répondait en grec et demandait à mon épouse de traduire en français.
Lavdi Deshmorevë Gloire aux morts
Voilà le contexte qui explique les tribulations qui ponctuent les élections dans le coin. A cette époque, la fin du XXème siècle, dans la plus grande partie du pays nous avions deux partis majoritaires, le parti socialiste et le parti républicain. Les leaders des deux groupes sortaient tout droit de l’époque dictatoriale imposée par Enver Hodja. Dans nos pays dits démocratiques, la discussion politique entre droite et gauche est pratiquement impossible, sans être traité soit d’islamogauchiste soit de fachiste ou peste brune, alors imaginez chez ce peuple sortant d’une persécution, d’une congélation des esprits et des idées à peine imaginables durant plus d’un demi-siècle.
Nous y voilà, les élections législatives eurent lieu. Dans la plus grande partie du pays, le scrutin se déroula en termes de résultats à l’image de ce qu’était la France il y a une trentaine d’années. Globalement, le PS et les Républicains se partagèrent les élus. Dans le sud, il en alla tout autrement. La mouvance grécophone vint troubler très sérieusement la donne, car elle s’invite systématiquement au second tour. Et là, cette fois, comme toujours, le déroulement prit une tournure particulière. Au premier tour, ce parti arriva en tête comme d’habitude et, cette fois les Républicains finirent en seconde position.
Prisonniers allemands
Droite et gauche, alors se retrouvèrent soudées et votèrent comme un seul homme et, soutinrent d’un bloc le candidat albanais contre le parti grec, taxé de séparatiste. Par un hasard sur lequel je n’épiloguerai pas, j’ai pu assister aux deux tours de ces fameuses élections dans ce sud albanais. Une pièce de théâtre à la Pagnol se déroula en direct sous mes yeux.
Pour bien comprendre le développement de ce à quoi j’assistais, les explications et des commentaires de mes accompagnateurs albanais, Georges et Zalo mon interprète me furent indispensables. Avec 25 ans de recul, je garde de cette expérience un sentiment d’irréalité et d’incrédulité.
Le premier tour de suffrage se passa sans incidents majeurs malgré quelques situations étonnantes. Par exemple, une grosse engueulade, à 30 minutes de la fin du scrutin entre les représentants des différentes opinions, provoqua la sortie de tous sauf de ceux de l’un des partis. On imagine très bien ce qui se passa durant ce laps de temps.
Komunistet nuk dorezohen les communistes ne se rendent pas
Deux semaines plus tard, le deuxième round s’engagea dans une ambiance pour le moins tendue. La préparation des jours précédents était axée sur l’action de communication de la coalition PS-Républicains, dénonçant le parti de l’étranger. Un peu avant l’ouverture des bureaux de vote, je me suis positionné sur la place du village dans l’attente d’un spectacle prometteur. Je fus comblé très au-delà de mes espérances. Le lieu était enchanteur, la montagne resplendissait et, loin en dessous ce jour-là la mer scintillait au soleil. Un grand calme régnait. Au paradis préparation d’une journée tumultueuse. L’heure fatidique sonna, le bureau ouvrit. Un homme affublé d’un pantalon de treillis militaire et d’une veste civile se mit en poste devant la porte. De la large poche bombée de son vêtement couleur kaki positionnée à la hauteur de sa cuisse, incrédule je regardai, hypnotisé, le silencieux, à la section cylindrique, d’une arme de poing qui émergeait de quelques centimètres du tissu. « Sans aucun doute Il va y avoir du sport », pensai-je.
Les premiers votants se présentèrent. Ils n’eurent pas besoin de montrer leur carte d’électeur à ce premier pré-contrôle. L’homme au colt les connaissait probablement tous. D’un simple mouvement de tête, le verdict tombait : toi tu rentres voter, toi tu dégages. Cette action liminaire se déroula dans le plus grand calme, les mots étant superflus. Les personnes éjectées se pliaient à la décision de façon résignée sans réaction d’humeur. La peur devait déclencher ce phénomène de passivité. Je n’ai pas eu besoin des explications de Georges pour comprendre le sens de la scène.
Tre Breza Trois générations
Un peu plus tard dans la matinée, d’un coup une foule tumultueuse envahit la place, avec à sa tête un meneur d’un gabarit certain. Il se dirigea vers l’homme armé et commença à vociférer. Il est toujours difficile de savoir si les Albanais se disputent, car ils parlent très souvent sur un registre de voix élevé. Mais dans le cas présent, le doute n’était pas possible. Alors, Georges me glissa à l’oreille qu’il s’agissait d’un député grec, accompagné de travailleurs albanais venus de Grèce en bus, tout spécialement pour soutenir le parti pro-grec. Comme souvent, ça se déroula à l’albanaise, ça crie fort mais rien ne se semble évoluer.
Le dépouillement, le soir venu, valut son pesant de cacahuètes. J’y ai assisté dans un village voisin de celui de Georges, moment d’anthologie. Les chiffres que je vais donner sont approximatifs, car j’en ai oublié le détail, mais ils approchent de la vérité : 310 inscrits, 220 votants, 15 bulletins nuls et 12 blancs. Le score final était sans ambiguïté : 203 voix pour les Républicains et 17 en faveur du parti pro-grec.
Partizani fitimtar Le partisan vainqueur
Je vais vous décrire le dépouillement :
On enleva le couvercle de l’urne, une main plongea à l’intérieur et retira les bulletins les uns après les autres et l’homme à la main annonçait le résultat en déclamant vigoureusement : républicain, républicain…. républicain, républicain. Après une longue litanie, la main providentielle saisit une liasse serrée de bulletins pliés en deux et décompta 17 bulletins, tous pro-grec. Et la longue énumération des « républicain » reprit jusqu’à épuisement du contenu de l’urne, seulement troublée de temps à autre par un nul ou un blanc, pour un total de 15+12= 27. Au moment d’inscrire les résultats finaux, une main hésitante s’empara des 27 bulletins nuls et blancs et les rajouta au paquet républicain et, le score final fut proclamé : 203 contre 17, écrasante victoire des Républicains soutenus par leurs alliés circonstanciels PS. Le plus étonnant, nous étions dans un village grécophone. Mon interprète, avec lequel j’ai gardé de par les années des liens forts d’amitié, me dit d’une voie marquée de surprise et d’incompréhension : « mais ce n’est pas possible, ils parlent tous grec même les pro-albanais ».
Les Albanais chassent les Russes après que Nixon soit allé en URSS
Dans un village un peu plus loin, accroché à montagne, au nom qui claque un peu à la manière de la dénomination d’une tribu indienne, pour éviter tout incident violent au dépouillement, l’urne fut envoyée dans la grande ville en bord de mer à une quinzaine de kilomètres. Cette fameuse boîte mit 4 heures pour faire le trajet. Certes, il faisait nuit et la piste n’était pas très bonne, mais le véhicule tout terrain, la transportant, était de bonne qualité, se jouant facilement des trous et des cailloux. Ce délai paraissait indubitablement louche. Les observateurs internationaux, mandatés pour surveiller la régularité des élections, considérant leur travail terminé à la fermeture du bureau de vote, disparurent et, ne constatèrent pas cette anomalie et n’en firent pas mention dans leur compte-rendu. Cependant, ce retard ne passa pas inaperçu à tout le monde. Un commissaire principal de police français, qui n’avait aucun mandat international, a chronométré le temps de parcours de l’urne, l’attendant au point d’arrivée. Le lundi matin, l’ambassadeur se délecta de nos observations qui contredisaient le rapport officiel émis par les instances européennes, qu’il avait sous les yeux.
Pogradec sous la neige tableau de Taso
Nous avons vécu une histoire albanaise comme Ulljet Alicka en raconte dans son livre « Slogans de pierre ». L’Albanie restera pour moi ce pays où les mythes et la réalité se confondent et s’entremêlent.
Les photos, sauf les deux dernières, sont tirées d'un magnifique livre de propagande qui s'appelle " Ushtria Popullore Ne Artet Figurative" L'Armée Populaire à travers l'art figuratif.
Je ne peux que vous inviter si vous vous rendez en Albanie à chercher dans les souks ou les librairies, les vieux livres de l'époque communiste. Des bijoux d'art de style figuratif stalinien. Il est dommage que tous les pays qui ont subi des régimes communistes très répressifs ont cherché à détruire tout ce qui s'y rapportait. On peut les comprendre, mais les peintures, dessins et statues très expressives de ces temps passés j'adore.
Lucbertrand- responsable de rubrique
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Date d'inscription : 07/12/2021
Aggir apprécie ce message
Ismaïl Kadaré grand écrivain
A lui seul cet auteur, Ismaïl Kadaré, représente un immense pan de l'histoire albanaise. A travers ses livres on tutoie l'âme de l'Albanie au fil des turbulences des siècles et tout particulièrement durant les tourments de la longue période du règne paranoïaque d'Enver Hodja.
Cet article, s'appuyant sur l'analyse des écrits de l'auteur, répond à une question que beaucoup de connaisseurs du pays se posent. Comment un écrivain avec une telle notoriété a-t-il pu survivre dans ce pays tenu sous le joug meurtrier d'un dictateur, qui éliminait systématiquement toute tête qui dépassait .
Sans doute, on trouvera d'autres articles plus nuancés qui lui seront moins favorables. Recouper et corroborer les sources d'information. Si vous détenez des documents d'écrivains sur cette époque d'enfermement, publiez les en réponse. En particulier, au temps du communisme il y avait en Albanie un cercle des écrivains albanais qui était assez productif, surtout pour prouver sa soumission au régime.
Kadaré était-il sous la coupe de la dictature ou était-il un résistant? L'article se positionne sans ambiguïté.
Il est toujours vivant, il habite au bord de la mer pas très loin de Tirana.
En tout cas cette publication dans la revue conflits donnera envie de le lire, de le découvrir ou de parfaire sa connaissance de son œuvre.
https://www.revueconflits.com/ismail-kadare-et-le-regime-denver-hoxha/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=les_dividendes_de_la_paix&utm_term=2024-01-10
Cet article, s'appuyant sur l'analyse des écrits de l'auteur, répond à une question que beaucoup de connaisseurs du pays se posent. Comment un écrivain avec une telle notoriété a-t-il pu survivre dans ce pays tenu sous le joug meurtrier d'un dictateur, qui éliminait systématiquement toute tête qui dépassait .
Sans doute, on trouvera d'autres articles plus nuancés qui lui seront moins favorables. Recouper et corroborer les sources d'information. Si vous détenez des documents d'écrivains sur cette époque d'enfermement, publiez les en réponse. En particulier, au temps du communisme il y avait en Albanie un cercle des écrivains albanais qui était assez productif, surtout pour prouver sa soumission au régime.
Kadaré était-il sous la coupe de la dictature ou était-il un résistant? L'article se positionne sans ambiguïté.
Il est toujours vivant, il habite au bord de la mer pas très loin de Tirana.
En tout cas cette publication dans la revue conflits donnera envie de le lire, de le découvrir ou de parfaire sa connaissance de son œuvre.
https://www.revueconflits.com/ismail-kadare-et-le-regime-denver-hoxha/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=les_dividendes_de_la_paix&utm_term=2024-01-10
Lucbertrand- responsable de rubrique
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Date d'inscription : 07/12/2021
Re: Mes chroniques albanaises
Comment j'ai vu évoluer la ville de Tirana
J'aime bien écrire pour différentes raisons, en particulier cela fait travailler les méninges et aussi structure bien les souvenirs et, évite qu'ils ne s'évaporent trop vite. Il m'arrive de participer à deux blogs d'écriture lorsque le thème m'inspire. Ces travaux m'ont permis de constater que je suis assez incapable d'inventer des scénarios. J'ai toujours besoin de partir de mon expérience vécue. L'un des derniers exercices demandait de se baser sur la prise de vue d'une ville, photo aérienne ou perspective du sommet du Xème étage d'un building et écrire un texte inspiré par cette forêt dense de hauts bâtiments. Dans ce type de gymnastique intellectuelle, il peut s'agir d'invention pure, polar ou autre oeuvre de science fiction, ou tout simplement relater un souvenir.
J'ai eu un flash, toujours le même, comme cela m'arrive à la vue de ce type de photo.
Je trouve que ce texte rentre bien dans le thème de ces chroniques albanaises. Je vous le soumets:
Ma ville
J'aime bien écrire pour différentes raisons, en particulier cela fait travailler les méninges et aussi structure bien les souvenirs et, évite qu'ils ne s'évaporent trop vite. Il m'arrive de participer à deux blogs d'écriture lorsque le thème m'inspire. Ces travaux m'ont permis de constater que je suis assez incapable d'inventer des scénarios. J'ai toujours besoin de partir de mon expérience vécue. L'un des derniers exercices demandait de se baser sur la prise de vue d'une ville, photo aérienne ou perspective du sommet du Xème étage d'un building et écrire un texte inspiré par cette forêt dense de hauts bâtiments. Dans ce type de gymnastique intellectuelle, il peut s'agir d'invention pure, polar ou autre oeuvre de science fiction, ou tout simplement relater un souvenir.
J'ai eu un flash, toujours le même, comme cela m'arrive à la vue de ce type de photo.
Je trouve que ce texte rentre bien dans le thème de ces chroniques albanaises. Je vous le soumets:
Ma ville
Une photo aérienne, tout du moins une vue prise en hauteur, d’une ville où s’épanouissent de toutes parts les buildings à la manière d’une prolifération de champignons, me rappelle inéluctablement cette cité que j’ai aimée dès le premier instant. Pourquoi à la vision d’une telle photo cette capitale me revient systématiquement à l’esprit ? Je vais tâcher de vous l’expliquer.
Dans un temps, hélas, lointain, je décidais de postuler pour un poste en ambassade dans un pays lointain, pas tant par la distance, mais par l’histoire et le mystère qui l’entourait. Il avait été fermé, on peut dire que sa population était restée prisonnière durant des décennies d’un dictateur de la pire espèce, Enver Hoxha. Le tyran mourut en 1985 et son régime s’écroula quelques années après.
Ayant réussi les diverses épreuves et ayant rempli les différentes formalités, à mon grand bonheur je fus sélectionné pour occuper ce poste tant convoité. Me voilà parti pour une aventure extraordinaire de trois ans qui sont passés à la vitesse de la lumière. Cependant, j’en reste marqué pour la durée de ma vie. Pourquoi le fait de poser le regard sur un conglomérat de buildings m’y fait-il penser aussi systématiquement ? Justement parce que lorsque j’y suis arrivé, des skyscrapers il n’y en avait pratiquement aucun. 2, je crois me souvenir, l’immeuble diplomatique dans lequel je vivais et au centre-ville l’hôtel Intercontinental d’une douzaine d’étages. Elle symbolisait alors la cité balkanique, tel qu’on l’imagine, mélange d’orient et de stalinisme, des maisons individuelles à l’allure ottomane et des immeubles de petites tailles de quelques étages au style très communiste. L’ensemble était dans un état de délabrement achevé. L’effondrement du régime despotique avait plongé le pays dans la plus totale anarchie.
Les Balkans sont une région de foisonnement en perpétuelle mutation où alternent améliorations et régressions. J’arrivais dans ce que l’on pouvait décrire comme un chaos généralisé. Mon fils m’avait demandé pourquoi j’avais besoin d’un véhicule 4X4. Il a compris le soir où en centre-ville je me suis enlisé et, les quatre roues motrices eurent de la difficulté à nous sortir de ce mauvais pas.
Cette métropole est située dans une cuvette entourée de montagnes, dont la plus haute se nomme le mont Dajti. Il culmine à plus de 1600 mètres. Il m’arrivait souvent de la gravir par différents itinéraires et j’étais toujours fasciné par les changements rapides de la ville que je pouvais observer de ce belvédère. Très rapidement, je me suis amusé à compter à chacune de mes ascensions les nouveaux immeubles qui sortaient de terre à un rythme toujours plus effréné. Je vous ai dit qu’à mon arrivée 2 édifices atteignaient les dix étages. A mon départ trois ans après, ils étaient plusieurs centaines qui en comportaient au moins deux fois plus. La ville changeait de physionomie d’une semaine à l’autre. Elle perdait rapidement son cachet balkanique et se fondait dans la mondialisation uniforme.
Depuis cette époque j’y suis retourné à plusieurs reprises, les constructions colossales y sont toujours plus nombreuses, au point que je ne reconnais absolument plus certains quartiers. Ma dernière visite remonte à quelques mois, et là, nouvelle évolution, les gratte-ciels atteignent des hauteurs vertigineuses. Cependant, les formes s’affinent et affichent de l’originalité. La ville a perdu son cachet rétro XIX siècle, remplacé par une note très futuriste qui ne manque pas de charme. Certains ingénieurs trouvent ces excès de hauteur et ces formes propices aux déséquilibres inadaptés à une région sismique.
De ma chambre d’hôtel au 18ème étage, je contemple la ville et je me remémore ce qu’elle était 25 ans plus tôt. Que de changements, mais l’âme du lieu semble préservée, les églises, catholiques et orthodoxes, ainsi que les mosquées ont été protégées et je ressens fortement cet esprit de syncrétisme comme il y a un quart de siècle, où toutes religions confondues la population participait aux festivités. Le pape lui-même s’en était étonné au cours d’une visite récente. Voilà cette ville de Tirana où j’aime encore et toujours revenir et où des amitiés fortes m’unissent à ce peuple très attachant.
Je mentionne ci-dessous le blog d'écriture qui m'a inspiré ce texte:
La plume de Laurence
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Mort d'Ismaël Kadaré
Le grand auteur albanais Ismaël Kadaré vient de mourir hier à Tirana à l’âge de 88 ans. Il symbolisait l’Albanie dans tous ses paradoxes. Cette histoire tourmentée et parfois très étrange de son pays, il l’avait décrite dans ses nombreux livres. La période communiste est très présente dans ses écrits. Il avait échappé à la terrible censure du régime tyrannique d’Enver Hodja. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises chez un ami Julien, ancien camarade au lycée Ampère de Lyon. Julien, homme d’affaires habitant en Albanie, ayant beaucoup traité avec des pays réputés pas très sympathiques comme l’Iran ou la Corée du Nord, la chance sourit aux audacieux et courageux.
Je ne peux penser à Kadaré sans que le souvenir de son traducteur en français me vienne aussi en mémoire, Jusuf Vrioni. Je l’avais aussi côtoyé en Albanie, je lui avais servi de chauffeur un soir. J’aurais aimé que le trajet dure 1000 km tant il était intéressant. Son français était parfait, ayant fait HEC. Sa diction me faisait penser à celle de mon père, perfection de l’expression d’un homme de grande culture.
Je me suis parfois étonné que Kadaré ait besoin d’un traducteur en français car il parlait aussi couramment notre langue.
C’est un monde qui s’écroule, les mémoires s’effacent, mais heureusement les livres restent. A ce titre, outre l’œuvre de Kadaré, ne pas oublier de lire le seul ouvrage qu’ait commis Vrioni « Mondes effacés Souvenirs d’un Européen ». Il a été un témoin qui a décrit avec précision cette période communiste de l'Albanie, il en a été marqué profondément dans sa chair de par la répression qu'il a subie et si bien décrite.
https://actualitte.com/article/117905/auteurs/l-auteur-albanais-ismail-kadare-est-mort
http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/kadare_traducteur.htm
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