La Photo et la Créativité

Ibn Battuta a écrit:" Ceci n'est pas une pipe " (René Magritte)

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A méditer...

J'ouvre ce nouveau fil de discussion suite à la remarque de Ibn Battuta qui semble avoir été totalement zappée par les lecteurs dans un autre fil de discussion.
En effet, c'est quelque chose de vraiment fondamental pour aborder les différents aspects de la créativité. Et ce sont des notions que certains d'entre vous vont découvrir.

Le non-Aristotélicianisme

C'est une théorie philosophique qui est apparue dès le début du 19e siècle (à peu près à l'apparition de la photographie) exprimées par Alfred Korzybski et qui a été largement repris par non seulement des philosophes mais beaucoup d'artistes au cours du 19 et 20e siècles. Le tableau "Ceci n'est pas une pipe" de René Magritte que cite Ibn Battuta n'est pas hors propos dans la photo et en particulier la photo de voyage. Au contraire, elle est au coeur des démarches de la plupart des photographes de voyage.
Parmi les personnalités "A barre" {C'est un grand A surmonté d'un trait horizontal, ce qui en mathématique se dit non-A ou Ā}

En vrac, parmi les non-A on peut citer en dehors de Magritte;, Gaston Bachelard, Boris Vian, ou encore Michel Houellebecque avec son roman prix Goncours 2010 : la carte et le territoire. La liste n'est bien entendu pas limitative !!!

Tout le non-A est résumé dans cette phrase que Korzybski citait régulièrement : "la carte n'est pas le territoire".
Autrement dit la réalité est indépendante de chacun car chacun n'a que son interprétation de la réalité et personne n'appréhende l'exacte réalité.

En photographie, c'est assez fondamental : quand on fait une photo, on ne capte pas la réalité, on réalise une interprétation de la réalité. On verra dans le chapitre "photographie" ce que que cela a pour conséquences.

La Peinture

Dans le tableau de Magritte "ceci n'est pas un pipe", l'auteur veut dire qu'il s'agit de la représentation d'une pipe et que la réalité de ce qu'il a peint peut être très différente. Peut être s'agit-il d'une ébauche sans le conduit pour la fumée, ou une demi-pipe comme les tableaux de demi-coques de navire ?
En tout cas, ce n'est qu'une représentation et pas la réalité.

Chacun d'entre nous ajoute dans son interprétation de quelque chose ses propres "inférences", ses propres convictions plus ou moins judicieuses.
 
En peinture, cette notion d'interprétation d'une réalité par un peintre dans son univers a été débattue pendant des siècles, et le vocabulaire pictural a été de très nombreuses fois bousculé. Avec la peinture classique, la néo-classique, l'impressionnisme, le pointillisme, le cubisme, et tant d'autres.
Les hasards de la vie m'ont donné la chance de travailler assez longtemps avec Jean-Pierre Yvaral, un peintre novateur qui a utilisé le vocabulaire pictural inventé par son père Victor Vasarely pour des oeuvres numérisées. L'Unesco m'avait même invité à faire une conférence sur ces travaux dans son hémicycle : "l'art et la technique".

Les peintres ont très longuement nié le caractère artistique dans la photographie sous le motif qu'on n'avait aucune démarche artistique et de créativité dans la photographie. En effet au tout début de la photographie, à part le cadrage, le photographe n'avait pas beaucoup de possibilité d'interprétation : après avoir cliqué, le degré d'intervention était très limité.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui, avec l'arrivée du troisième larron "la sensibilité" dans le duo classique "ouverture et vitesse", et surtout la capacité démente de distinction des couleurs d'un capteur par rapport à un oeil humain (plus d'un milliard avec un capteur 14 bits contre 2 millions avec l'oeil) et les logiciels de postproduction permettant de jouer avec ces couleurs qu'on ne voit pas et qu'on peut rendre visible (genre lightroom et Luminar) ou de carrément modifier l'image (genre photoshop, luminar et beaucoup de retoucheurs graphiques)

La Photographie

Et donc la photographie est désormais considérée comme un art.

Mais par n'importe quelle photographie.

Comme pour toute activité artistique, il faut qu'il y ait un choix et une créativité.

Si l'on se contente de cliquer sur un bouton et qu'on laisse le logiciel de l'appareil de tout décider à sa place (pour les réglages de prise de vue ET l'obtention d'un fichier d'image), il n'y a pas vraiment de démarche artistique.
Surtout qu'un général, ceux qui ne font que ça ne préoccupent pas du cadrage et des quelques règles que nous ont légués les arts picturaux ancestraux tels que la règle des tiers des plans successifs ou des lignes de force.

Cela ne veut pas dire qu'un cliquant à tout va, on ne peut pas obtenir de photo remarquable. Après tout, même un écureuil aveugle peut trouver une noisette.

La créativité

La discussion sur les "faux ciels" ou l'utilisation (surtout en vidéo) des chroma key est encore fortement contestée aujourd'hui.
On peut en discuter sans fin, c'est juste une question d'opinion de savoir jusqu'où doit (ou peut) s'exercer la créativité.

Ajouter un faux ciel peut correspondre au besoin de restituer une autre atmosphère. C'est un démarche artistique.
Certains refusent d'accepter ce qu'il considèrent comme l'intrusion de pratiques déloyales dans le processus d'interprétation de la réalité vers un ressenti. Cela se défend aussi.

Mais l'important n'est pas là : la démarche artistique a toujours progressé avec la violation des règles souvent d'ailleurs tacites. Mais attention : pour transgresser des règles il vaut mieux d'abord les connaître.

Car transgresser des règles sans les connaître, ce n'est plus de la créativité, c'est juste de l'ignorance.

En ce qui concerne les peintres, certains ont utilisé l'image photographique comme support à leur travail en atelier. Ils y accordaient donc au moins l'intérêt d'un support mémoriel figeant un instant.

Concernant la créativité, il y a aussi le débat autour des retouches, et modifications par les logiciels. Certains refusent totalement ce traitement de l'image, ne voulant retenir que ce qui sort de l'appareil grâce à leur expertise technique et artistique, sans ce qu'ils jugent être une dénaturation de l'image première.

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Pour la photo pour les peintres, ma mère (qui peint) fait ça de temps en temps. Mais ceux d'avant la photographie ne le faisaient évidemment pas.
Parfois aussi on procède de cette façon pour des portraits de personnes disparues.
Je me rappelle d'avoir fait réaliser à Hanoï (dans le quartier des peintres un portrait pou un ami en donnant la photo (couleur papier) à une artiste dans un atelier ... Le résultat était vraiment très bien !

En général, les détracteurs de la retouche acceptent les ajustements de couleur (sans exagérer).
Pour ma part, je considère que la retouche (la modification de ce que l'on voit), que ce soit pour enlever un cable ou pour remplacer un ciel sont des actes de créativité. Mais ce n'est qu'un point de vue au milieu des autres ...